Action publique et dynamismes fonciers au Sénégal : une menace probante des acteurs étatiques et privés, African Journal of Land Policy and Geospatial Sciences, janvier 2020

Auteur : Ameth Diallo

Organisation affiliée : African Journal of Land Policy and Geospatial Sciences

Type de publication : Article

Date de publication : Janvier 2020

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Des mesures inadaptées au contexte local

« L’idée d’appropriation de la terre a été une donnée permanente de toutes les civilisations ». C’est pourquoi l’Etat, dans ses dynamiques de planification, suivi et évaluation des politiques publiques, devrait toujours prendre en considération la dimension de l’insécurité foncière qui découlerait d’une mise en œuvre défectueuse de ces politiques. Les tentatives de réforme foncière aboutissent généralement à des mesures inadaptées au contexte local (la population qui y vit est en majorité  réfractaire aux changements).

Selon Paul Mathieu, « les mécanismes de  gestion  foncière  effective  sont  tiraillés  entre  la  prétention  formelle  du  monopole  foncier  de l’Etat et les influences bien réelles […] des pouvoirs publics locaux ».  L’insécurité foncière et l’accès précaire aux autres ressources naturelles peuvent être des indicateurs pertinents de la marginalisation des producteurs dans les processus de transformation de l’agriculture et des autres activités connexes.

De même, l’inadéquation des mesures de réforme des politiques foncières en milieu rural s’explique à travers « l’accaparement des organes décisionnels par les élites traditionnelles » et « le détournement ou le contournement de la logique de l’Etat ». Ainsi,  les mesures de sécurisation foncière resteraient fragiles car les autorités traditionnelles ont gardé leur pouvoir d’influence sur les instances décisionnelles locales. Cette situation qui favorise une insécurité foncière dans l’espace décentralisée, pose les défis de  la transparence dans la gestion des ressources foncières au Sénégal et impacte négativement sur la protection des droits fonciers des administrés.

Des impacts négatifs sur la protection des droits fonciers des administres

Le caractère fragile des mesures de sécurisation foncière engendre des impacts négatifs sur la prétendue protection des droits  fonciers des administrés. En fait, le foncier est un cadre d’intervention de différents acteurs aux intérêts divergents, et dans cette dynamique, les droits fonciers des citoyens sont fréquemment violés. « Aujourd’hui, la dichotomie public/privé se transforme en contradiction dans le cadre de la décentralisation. La question du partage des ressources entre l’Etat central et ses collectivités décentralisées pose des problèmes relatifs à l’aménagement du territoire et à l’affectation des ressources foncières…».

Ainsi, la question de la décentralisation des ressources foncières devrait occuper une place de choix dans la réforme et l’évaluation des politiques foncières pour éviter un monopole foncier abusif de l’Etat. Ceci aurait permis aux administrés de participer activement à la gestion des affaires publiques, y compris en matière de gouvernance foncière. C’est ainsi que Paul Mathieu fustige « les stratégies foncières anticipatives et les méthodes de plus en plus opportunistes et individualistes (« chacun pour soi »- « la fin justifie les moyens ») dans des situations de compétition foncière ».

De même, l’inadéquation des mesures de réforme des politiques foncières en milieu rural s’explique à travers « l’accaparement des organes décisionnels par les élites traditionnelles » et « le détournement ou le contournement de la logique de l’Etat »

Selon le professeur Ibrahima Diallo,  « un des enjeux de la décentralisation, surtout en matière foncière, devrait être la construction de contre-pouvoirs démocratiques assurant une prise en compte des intérêts des groupes dominés et limitant par la  même occasion les abus de pouvoirs des autorités locales ». Parallèlement, au Sénégal, le juge de l’administration a tendance à sanctionner l’abus de pouvoir des autorités, touchant les droits fonciers des administrés. D’abord, le juge de l’excès de pouvoir a censuré la décision de l’administration portant atteinte à la propriété individuelle. Ensuite, il sanctionne une décision administrative touchant  à  la  propreté  individuelle  et  au  droit  de  logement. Enfin, le juge conclut à l’annulation de l’arrêté d’un préfet qui suspend, pour une durée indéterminée et en dehors de toute procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique, toutes opérations sur un terrain appartenant à la collectivité Leboue de Ouakam. Bref, l’absence d’une maitrise du système de sécurisation foncière peut occasionner des risques de privatisation du foncier.

Une ouverture risquée du marché foncier

Au  Sénégal,  la privatisation du foncier présenterait certains risques surtout pour les paysans sans moyens. En effet,  on sait que  l’ouverture du marché foncier favorise l’agrobusiness commercial intensif. Que dire alors des investisseurs privés disposant de gros moyens (agro businessmen privés) face à des paysans en majorité pauvres? Et les exigences et besoins des générations    futures? Et les exigences de l’environnement? Autant d’interrogations qui inquiètent la Commission nationale de concertation et de coopération des ruraux et tout citoyen averti des défis actuels du développement durable. Selon l’analyse de certains des  membres de la doctrine,  « l’avenir du système foncier sénégalais est davantage assombri par des velléités de privatisation ».

Selon  le  professeur  Ibrahima  Diallo,  « un des enjeux  de la décentralisation,  surtout  en matière  foncière, devrait  être  la  construction  de  contre-pouvoirs  démocratiques  assurant  une prise  en  compte  des intérêts des  groupes dominés et  limitant par  la  même  occasion  les abus  de pouvoirs  des  autorités  locales»

Cette  situation  cache  une  forme  de  corruption foncière déguisée dans la dynamique de l’action publique au Sénégal. En fait,  lorsque l’administration foncière est opaque, il est difficile de savoir qui est responsable de quoi, les étapes et le temps requis pour traiter les transactions, les moyens et les voies de recours etc… Face à cette situation, la société civile sénégalaise, en collaboration avec le Cadre de Réflexion et d’Action sur le Foncier au Sénégal (CRAFS), ont élaboré un plan d’action contre la marchandisation des terres et l’immatriculation généralisée en plaçant les exploitants familiaux au cœur de la réforme foncière

Des accaparements au bénéfice d’entités privées, essentiellement étrangères

Aujourd’hui, avec la montée en puissance  du libéralisme économique, on note au Sénégal une multiplication des accaparements des ressources foncières au profit d’entités privées. « Dans une logique purement quantitative, l’accaparement des terres peut être entendu comme le fait pour une personne, un groupe de personnes physiques et morales, de s’approprier soit de manière temporaire soit de manière définitive de grandes  étendues de terres ».

Selon le Professeur Ibrahima Diallo, il est difficile cependant de donner des chiffres exacts représentatifs de l’assiette foncière entre les mains des investisseurs. Ces derniers peuvent être des étrangers ou des nationaux, y compris les élites politiques, maraboutiques, le secteur privé national etc. La part des investisseurs étrangers s’élève à 498328 ha en 2016. La quantification des terres acquises par les investisseurs est un exercice difficile à cause des enjeux autour du foncier. Certains investissements  passent sans bruit alors que d’autres échouent après une médiatisation en outrance. 

Un développement progressif de la corruption foncière

Cette corruption se caractérise par une marchandisation frauduleuse des terres, du lotissement non abouti, de la fiscalité foncière non recouvrée, une législation mal conçue ou mise en œuvre etc… Déjà, à propos des accaparements internes, Bernard  Puépi  évoquait la «concentration de la propriété foncière, qu’elle soit urbaine ou rurale entre les mains d’une petite minorité qui très souvent use des manœuvres dolosives et opaques, du jeux d’influence pour dépouiller la grande majorité de leur unique moyen de subsistance qu’est la parcelle de terre qu’elle exploite ».

Aujourd’hui, avec la montée en puissance  du libéralisme économique, on note au Sénégal une multiplication des accaparements des ressources foncières au profit d’entités privées

Selon le rapport de la Banque mondiale sur la corruption en 2008, il n’est pas rare que des gens puissants et influents puissent  facilement obtenir une injonction de la cour sur un terrain squatté illégalement et à ce titre, des représentants de gouvernement et des hommes d’affaire sont concernés dans des entreprises d’acquisition illégale de terres protégées. Au Sénégal, des études ont montré que « des Leboues ont vendu leur terres de façon illicite […]», et que « de telles transactions monétaires et les ventes particulières ont lieu le plus souvent de façon non transparente…».