De la transparence pour exorciser la malédiction des ressources naturelles: leçons d’ailleurs

De la transparence pour exorciser la malédiction des ressources naturelles: leçons d’ailleurs

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Entre 2014 et 2016, d’importantes découvertes de gisements pétroliers et gaziers ont vite fait du Sénégal le très probable futur eldorado, le pays où les investisseurs se frotteraient les mains, et où l’économie s’envolerait. Dans la rhétorique journalistique, des déclarations parfois maladroites ou pompeuses ont poussé des Sénégalais à faire des calculs et à supposer combien de milliards chaque citoyen pourrait recevoir des recettes pétrolières. Toutefois, entre les rêves que suscitent les hydrocarbures et la réalité, le fossé est souvent énorme et en regardant l’expérience d’autres pays en Afrique et ailleurs, cela exige beaucoup de rigueur et de transparence pour éviter la malédiction des ressources naturelles ou le paradoxe de l’abondance. Effectivement, beaucoup de pays riches en ressources en Afrique représentent parfaitement l’oxymore du paradis infernal tant ces richesses leur ont attiré plus d’ennuis que de beaux jours.

Entre les attentes, les suppositions et le scénario réel qui nous attend, le Sénégal devrait, à partir des leçons des autres pays ayant vécu cette expérience, se donner les moyens de ne pas répéter les mêmes erreurs.

Qu’on ne s’emballe pas vite

Le Président John Kufour, pour célébrer une grande découverte de pétrole au Ghana déclarait : « Même sans pétrole, nous nous en sortons vraiment bien […] Avec le coup de pouce du pétrole, nous allons nous envoler !»

Comme si la seule découverte du pétrole donnait des ailes aux leaders politiques et les  exemptait du sens de la mesure, en 2010, le Président tanzanien Jakaya Kikwete après une intéressante découverte de gaz disait : « Mtwara sera le nouveau Dubaï. » 12 ans après, la ville n’a pas encore le visa vers ce rêve.

Selon les estimations d’Intermón Oxfam, l’Angola pourrait multiplier ses dépenses dans le secteur de la santé de huit à dix fois ; le Nigéria pourrait multiplier ses dépenses dans la santé de 2,5 à 3 fois. Le Tchad pourrait plus que doubler son investissement dans l’éducation. La covid-19 est passée et a montré que ces pays étaient encore très loin du compte.

En plus des estimations faramineuses qui sont faites sur les retombées économiques et leurs impacts dans différents secteurs, il est important aussi d’être plus prudent sur les délais annoncés.

Alors qu’au Sénégal, les premiers barils sont prévus en 2023 après avoir repoussé les premiers délais annoncés, selon les enquêtes du Natural Resource Governance Institute, dans beaucoup de pays, pour le pétrole, on aboutit à 10,2 ans d’attente là où on en prévoyait 4,8 ans ; pour le gaz, la moyenne serait de 11 ans là où on en aurait estimé 8,1.

A cela s’ajoutent les impacts sur l’environnement qui ne doivent surtout pas être négligés. En effet, les dégâts peuvent être très considérables pour un pays qui a 700 km de côte et où les populations dépendent de l’agriculture et de la pêche.

En effet, la biodiversité des fonds marins peut être détériorée par les activités offshore, et les industries extractives polluent les rivières et les sources d’eau. D’ailleurs au Sénégal, les pêcheurs s’inquiètent déjà à cause de cette menace.

Éviter à tout prix le syndrome hollandais

Le syndrome hollandais désigne une situation de déclin de l’industrie ou de l’agriculture locale engendrée par l’exploitation et l’exportation de ressources naturelles.  Il est donc important de ne pas jeter tous les dés sur ces nouvelles ressources et de comprendre que nous avons des secteurs vitaux comme l’agriculture et la pêche qui tiennent jusque-là notre économie et qu’on doit continuer à valoriser.

Pour cela, il est nécessaire de calmer les enthousiasmes excessifs et d’être réalistes sur les attentes. Les autorités sénégalaises doivent, donc, communiquer le plus clairement possible sur ces ressources, la taille des projets en cours, les incertitudes, et les réels avantages sur l’économie sans oublier le plan de distribution des recettes prévues.

Il est important de gérer les attentes pour ne pas être déçu surtout en cette période où les prix du pétrole sont tombés et les perspectives à moyen terme sont incertaines. Les transitions amorcées vers les énergies renouvelables pourraient aussi ralentir ces projets mais aussi diminuer largement les recettes escomptées.

Le cas du Ghana est encore une belle leçon pour le Sénégal. Au Ghana, les revenus pétroliers ont été inférieurs de moitié à ce qui avait été prévu par la Banque mondiale pour la période 2011- 2018. Cette baisse des revenus s’est expliquée par les augmentations imprévues des coûts de développement du projet pétrolier initial. Aussi, le pays a payé cher les ambiguïtés juridiques, les lacunes dans l’expertise nécessaire et le manque de transparence.

« Les revenus pétroliers et gaziers du Sénégal devraient rester relativement modestes, inférieurs à 1 % du PIB dans l’avenir immédiat, et ne devraient pas dépasser 3 % du PIB sur la base des projets existants. Pour mettre ce chiffre en perspective, le gouvernement consacre actuellement environ 1 % du PIB à la santé, 4,5 % du PIB à l’éducation et l’encours total de la dette s’élève à 60 % du PIB ».

Cela démontre qu’il faut des décennies pour éponger la dette mais aussi une approche stratégique peut apporter un complément décisif à tout secteur visé.

Il y a de véritables défis à relever au Sénégal même si des efforts sont déjà faits.

Le Sénégal ne dispose pas actuellement d’un cadre juridique permettant de déterminer comment gérer spécifiquement ses revenus pétroliers et gaziers, au-delà de ses règles budgétaires générales. Le pays est également soumis à des règles budgétaires régionales qui, en théorie, encadrent les finances publiques.

Les autorités sénégalaises prévoient d’introduire une règle budgétaire régissant la part des revenus pétroliers et gaziers du pays qui doit être épargnée et celle qui doit être dépensée chaque année. Les autorités sénégalaises ont envisagé de transférer un pourcentage fixe des revenus du pétrole et du gaz au budget national et épargner le reste. Mais le gouvernement n’a pas pris de décision définitive à ce sujet.

C’est un point rassurant quand même de voir que le pays a un bon niveau de conformité aux normes de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE)

Alors que le Sénégal se trouve encore dans la zone rouge dans l’Indice de perception de la corruption de Transparency International, il demeure évident que notre plus grand défi dans la gestion de ces nouvelles ressources reste la transparence. S’ajoute à cela, une communication proactive avec une population déjà suspicieuse depuis le scandale révélé par un documentaire de BBC Panorama et Africa Eye impliquant des membres du gouvernement sénégalais et un homme d’affaires du nom de Frank Timis.

En termes de mécanisme de gestion des recettes gazières et pétrolières, le Sénégal a confié au Fonsis (Fonds souverain d’investissements stratégiques) le pilotage du Fonds générationnel des revenus du pétrole et du gaz. Il s’agit d’un fonds générationnel qui recevra une partie des recettes du gaz et du pétrole avec sa propre politique d’investissement. L’objectif de ce modèle d’investissement est de préserver une partie des ressources du pétrole pour les générations futures.

Si à côté de cette initiative, la gouvernance du Petrosen est soumise à une meilleure transparence, le Sénégal a ses chances de ne pas attirer l’ire des démons des ressources naturelles.

 


Crédit photo : seneplus.com

 

Pathé Dieye

Pathé Dieye est chargé de recherche et de projet à WATHI. Il s’intéresse aux questions de conflits, paix et sécurité dans le Sahel et à la prospective. Titulaire d’un Master 2 en Science politique mention relations internationales. Il est blogueur et anime son site “Silence des rimes”. Il est aussi écrivain et son premier roman est intitulé “J’ai écrit un roman, je ne sais pas de quoi ça parle…” .

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