La volonté de défendre les intérêts de la Nation
Dès lors que l’on choisit de faire de la politique, notre volonté est de représenter les populations et de défendre leurs intérêts. Être député, c’est choisir de porter la voix du peuple, d’apprécier le travail gouvernemental à travers l’évaluation des politiques publiques, le contrôle de l’action gouvernementale et le vote des lois. C’est une manière de représenter son peuple.
Le désamour de la population envers la politique
Les politiques ont une incidence directe sur la vie des populations. Cependant, cette corrélation n’est pas forcément comprise par la population. Le peuple ne comprend pas toujours le fait qu’un député a un rôle à jouer, que l’action gouvernementale, le vote de lois, ou l’évaluation des politiques publiques ont une incidence sur sa vie. Je pense qu’il y a un problème de conscientisation, de mise à niveau pour que les populations comprennent le rôle du député, du président de la République, de toutes personnes qui se trouvent dans une institution. Cela représente un premier problème. Nous avons d’ailleurs constaté lors des dernières élections que certains candidats à la députation ont annoncé qu’ils allaient diminuer le coût de la vie, ce qui est pourtant impossible. Ces candidats ont pu se permettre de dire cela car les populations ne sont pas informées sur le fonctionnement des institutions. Il y a donc un défaut d’information, on ne communique pas assez sur les institutions et leurs rôles.
Être député, c’est choisir de porter la voix du peuple, d’apprécier le travail gouvernemental à travers l’évaluation des politiques publiques, le contrôle de l’action gouvernementale et le vote des lois
Le deuxième problème est que les politiques ont souvent déçu. Des représentants du peuple ne représentent pas le peuple dans leur propre volonté, ne mettent pas en avant les intérêts de la population. À la place, ils bénéficient de privilèges permis par leurs postes. D’élection en élection, on s’est rendu compte que les « députés du peuple » ne sont pas forcément les députés du peuple, mais plutôt les députés du président de la République, ou d’eux-mêmes, travaillant pour leurs propres intérêts. Souvent, le président de la République ne respecte pas sa parole. On peut alors se demander : Ça sert à quoi d’aller voter ? Ça sert à quoi d’accorder sa confiance à des hommes politiques pour finalement regretter ? Ça sert à quoi de rester dans ce cercle vicieux dans lequel on change de tête, mais pas de système. Compte tenu des urgences liées à la vie quotidienne des Sénégalais, les populations préfèrent le plus souvent se concentrer sur leurs propres besoins et se détournent malheureusement de plus en plus de la politique.
Cependant, cela est une erreur car, quoi qu’il en soit, nous sommes dans un système démocratique. Pour être au niveau des sphères de décision, il faut faire de la politique. La Constitution dit clairement que les partis et les coalitions partisanes représentent les populations. Il faut faire de la politique, s’intéresser à la vie de la communauté. Si les populations se détournent de la politique, cela signifie qu’elles se détournent de ceux qui vont les gérer, ce qui n’est pas une bonne chose. Il faut davantage leur parler et les inciter à s’intéresser à la politique, évidemment en faisant en sorte qu’il y ait de nouveaux profils en politique.
D’élection en élection, on s’est rendu compte que les « députés du peuple » ne sont pas forcément les députés du peuple, mais plutôt les députés du président de la République, ou d’eux-mêmes, travaillant pour leurs propres intérêts
Le député et la conscience de sa mission
Les députés sont choisis parmi la population. Ils ne sont pas formés avant de venir à l’Assemblée nationale mais il y a la possibilité de rattraper les carences à travers les formations.
Cependant, cela n’est pas le plus important, il y a la question de la moralité. Certains députés n’ont pas un niveau d’étude élevé mais ils ont été de très bons députés car ils ont toujours eu le réflexe d’être du côté des populations. À l’inverse, il y a aussi des députés qui ont déjà eu une formation avant de venir à l’Assemblée nationale, qui sont conscients des enjeux, mais qui préfèrent se ranger du côté du président.
Être député, c’est donc plus une question de moralité, de prise de conscience, et de démarche citoyenne que de formation.
Le quotidien d’un député
Le quotidien d’un député n’existe pas, en dehors évidemment des exigences liées à l’Assemblée nationale, même si on a en réalité vu lors de la législature passée un député qui n’est presque jamais venu à l’Assemblée nationale.
Parler du quotidien d’un député laisse penser qu’il y a des obligations liées à leur poste alors que cela n’est malheureusement pas le cas. Les députés ont un quotidien qui diffère selon leur prise de conscience des enjeux et de leur rôle.
De manière générale, si le député fait son travail, il est chargé du vote des lois et des projets de loi. Il faut savoir les lire, les comprendre, et faire des amendements. Le député doit beaucoup lire et faire beaucoup de recherches. Par exemple, la loi des Finances nécessite beaucoup de lectures.
Être député, c’est donc plus une question de moralité, de prise de conscience, et de démarche citoyenne que de formation
Il y a également le contrôle de l’action gouvernementale, qui peut se faire de diverses manières. Il y a les questions écrites ou orales, d’actualité ou non, que l’on peut adresser aux membres du gouvernement et ces derniers ont l’obligation d’y répondre.
Il y a la possibilité de mettre en place des commissions d’enquêtes parlementaires.
Il y a aussi des visites sur le terrain. Par exemple, lorsque j’étais président de commission, j’étais également membre de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Nous avions eu la possibilité de visiter les prisons au Sénégal et de voir dans quelles conditions vivent les détenus dans notre pays. Nous avons été dans pratiquement toutes les prisons. C’est donc un travail de terrain constant.
Il y aussi l’évaluation des politiques publiques, mais les députés ne sont justement pas assez formés pour cela. C’est à travers les initiatives du gouvernement ou de ses démembrements que les députés sont formés alors que le gouvernement n’a pas forcément intérêt à ce que les politiques publiques soient évaluées et que le contrôle soit approfondi.
Il y a le régime des incompatibilités : un député ne peut pas faire énormément de choses, il doit exclusivement travailler au service des populations.
Les moyens mis à la disposition du député pour l’assister
Dans le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, il est dit que « l’Assemblée nationale peut recruter des assistants parlementaires » mais c’est facultatif. Nous avions pensé lors de la campagne électorale passée à travers notre contrat de législature que cela devrait être une obligation. Il faut évidemment encadrer les députés. Dans d’autres pays, les députés ont des cabinets composés de plusieurs personnes. Il y en a à l’Assemblée nationale, mais ils sont peu nombreux. Je pense que cela a été un peu renforcé.
Parler du quotidien d’un député laisse penser qu’il y a des obligations liées à leur poste alors que cela n’est malheureusement pas le cas. Les députés ont un quotidien qui diffère selon leur prise de conscience des enjeux et de leur rôle
Cependant, les assistants parlementaires ne sont pas forcément plus outillés que certains députés ayant déjà de l’expérience. Un assistant parlementaire ne peut pas être généraliste, alors qu’il faut avoir des connaissances transversales. Le député doit être informé sur l’état de notre économie, sur l’éducation, sur la santé, … Il faut des assistants parlementaires qui ont une connaissance aiguë dans ces domaines pour pouvoir aider. Le fait de recruter des personnes qui sortent nouvellement de l’université ne permet pas d’assister en tant que tel, il faut prendre le temps de recruter des personnes ayant une certaine expérience dans un certain domaine et qui pourront véritablement aider le député. Cela permettra de contrôler l’action gouvernementale.
Il y a des éléments de la société civile qui interviennent souvent au sein de l’Assemblée nationale pour aider les députés dans la capacitation (l’ONG 3D, le Front civil, …).
Le député a le devoir d’aller s’informer et d’apprendre, il doit aller chercher les outils pour faire face aux groupes d’experts (avec ou sans aide). En effet, lorsque les ministres viennent, ils sont entourés d’experts. Afin de faire face aux ministres, leur poser des questions, faire des amendements, des propositions, le député doit être au courant de ce qu’il se passe, être informé, avoir des connaissances dans le domaine visé.
Le travail des commissions parlementaires
Il y a beaucoup de commissions. Il y a d’abord les commissions permanentes. L’Assemblée peut également créer des inter-commissions. Le travail diffère selon les commissions et elles ont des intitulés liés à leurs domaines d’activités. Il y a des commissions chargées du budget, de la loi, de l’environnement, … Lorsqu’un projet de loi concerne une commission, elle est saisie en première instance pour voter le projet avec amendements et discussions, avant que le projet ne soit porté en plénière. Cependant, le processus du vote du budget fait exception. Les commissions reçoivent les députés et discutent du budget avant qu’il ne soit voté en plénière.
Au-delà de leur saisie, les commissions peuvent demander des informations, demander à entendre un directeur de société ou un ministre sur une question précise et en discuter en profondeur pour rédiger un rapport.
Les commissions ont un rôle extrêmement important. Compte tenu de la diversité des sujets, cela permet de pouvoir confier les différents sujets à des structures formelles.
Les commissions sont composées de députés élus. Le choix se fait parmi les groupes parlementaires existants. Le groupe parlementaire a le droit d’avoir une commission et de choisir la personne qui sera à sa tête. Cependant, on ne peut pas dire que ces choix sont faits en fonction des profils et de l’expérience. Le plus souvent c’est lié à des choix politiques.
Des sujets défendus à l’hémicycle
Nous avons défendu énormément de sujets au sein de l’Assemblée Nationale dès les premiers mois. Par exemple, le prix du loyer a été un sujet très passionnant. Cela faisait partie des promesses du président de la République. Nous étions dans la coalition de Benno Bokk Yakaar, nous devions donc soutenir le projet. Cependant, nous avons émis plusieurs réserves au projet de loi. La manière dont le projet a été libellé risquait de nous emmener vers la spéculation et c’est-ce qui est arrivé. Quand un gouvernement a énormément d’experts et ne peut pas anticiper certaines choses, c’est parce qu’il y a eu un discours populiste. Pour nous, ce n’était pas la bonne manière à l’époque donc nous avons fait des contributions dans ce sens. De plus, nous avons travaillé sur les Accords de Partenariat Économique (APE). C’était très important d’en parler.
On a été dans un séminaire organisé par le ministère de l’industrie qui avait voulu renforcer les capacités des APE. L’Union européenne (UE) était présente et nous a fourni les documents devant nous permettre de comprendre les gains de nos États après la signature. C’était extraordinaire. Comment peut-on être parti dans cette affaire et se retrouver à devoir être convaincu non par nos États mais par l’UE ? J’en ai parlé publiquement pour montrer mon incompréhension concernant leur présence. Les informations mises à notre disposition par l’UE auraient dû être prises en charge par le gouvernement sénégalais. Nous ne sommes pas là pour les défendre.
Il y a eu d’autres questions soulevées au sein de l’Assemblée nationale, notamment les décrets d’avance. Après la première loi des finances, j’ai constaté qu’il y a eu un décret d’avance de 8 milliards provenant du trésor public pour le président de la République dès son ascension au pouvoir et ce sans explication. Je l’avais dénoncé à l’époque. L’intérêt des populations a été au centre de notre travail.
Les propositions de loi nécessitent la majorité. Même si un parti propose une loi, il y a peu de chance que cela aboutisse.
Le mode d’élection des députés
Il s’agit plutôt du mode d’élection du bureau de l’Assemblée nationale et des commissions. Les députés sont élus au suffrage universel direct et c’est une excellente chose car ils doivent tirer directement leur légitimité du peuple. Il faut comprendre le rôle important de l’Assemblée et le fait que sa légitimité est tirée du peuple. Il faut ensuite une proportionnalité, surtout par rapport au département. Sinon, cela pose problème au principe de démocratie. Il y a une manière de faire le calcul et on doit aller dans ce sens-là.
Le budget de l’État
Il n’y a pas une grande marge car pour pouvoir faire des amendements, il faut que le député puisse donner des mesures compensatrices, expliquer comment il va trouver l’argent, … C’est donc extrêmement difficile de modifier le budget. Il sort tel qu’il entre. Il y a beaucoup de débats mais ce n’est que formalité. Le plus souvent, on aboutit au vote du budget. Il faut davantage former les députés car il y a aussi une partie technique en ce qui concerne l’écriture et l’amendement de la loi. Les groupes parlementaires doivent mettre en place, en plus des projets solidaires, des projets communs. Le plus souvent, les gens veulent se montrer et dire qu’ils ont joué un rôle important dans le collectif. Cela leur permet de profiter de l’expérience externe, d’avoir des bons projets, … Il n’y a pas d’obligation qui énonce que le député doit être formé, mais le plus souvent, la formation est faite par des organes de la société civile. Ils font un bon travail en appuyant les députés et en les encadrant. Les formations sont aussi au niveau des groupes parlementaires, elles se font au fur et à mesure que le député acquiert de l’expérience et se révèle au public.
Après la première loi des finances, j’ai constaté qu’il y a eu un décret d’avance de 8 milliards provenant du trésor public pour le président de la République dès son ascension au pouvoir et ce sans explication
La marge de manœuvre d’un député de l’opposition face à la majorité
L’aboutissement de tout travail à l’Assemblée nationale est le vote. Le vote étant la loi de la majorité, il est difficile d’appartenir à la minorité. Cependant, le peuple ne se limite pas au vote, il observe le travail. En dehors de l’espace de l’Assemblée nationale, l’opposition peut parler au peuple à travers les médias et former son opinion, l’influencer. Ce qui fait que l’opinion publique peut s’imposer à la majorité. On peut parler à la presse et informer sur l’opinion d’une situation.
Par exemple, le 23 juin, il y a eu une majorité écrasante du pouvoir qui voulait porter un projet de réforme constitutionnelle. Cependant, une minorité a alerté l’opinion publique et après cela, il n’y a pas eu de vote.
Le regard sur la quatorzième législature
La majorité à l’Assemblée n’est pas saisissable, elle est dynamique. Elle évolue donc selon les projets et les propositions. Si l’initiative parlementaire importe la vision de certains membres de l’opposition, la majorité se construit à travers l’addition d’une partie de l’opposition. Contrairement aux autres législatures, nous n’avons pas une majorité écrasante. Il y a une majorité qui se dégage en fonction de l’importance de l’initiative. C’est une configuration très intéressante. Rien ne sera comme avant, on ne pourra pas mettre sur la table n’importe quoi au risque de perdre la majorité. Si la démarche est pertinente, l’initiative sera accompagnée. Tout député va se projeter sur l’avenir.
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