Étude sur la perception et le coût de la corruption au Sénégal, Office national de lutte contre la fraude et la corruption, 2017

Réalisée par : Synchronix

Organisation affiliée : Office national de lutte contre la fraude et la corruption OFNAC

Type de publication : Etude

Date de publication : 2017

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Introduction

La vie des communautés est de plus en plus marquée par d’importantes disparités économiques, aggravées par une raréfaction continue des ressources naturelles. Les États, en particulier ceux en développement, sont aujourd’hui dans un contexte de crise économique et financière, confrontés à des difficultés structurelles qui plombent sérieusement leurs capacités à produire de la richesse. A cette situation sont venus s’ajouter d‘autres facteurs, parmi lesquels la mauvaise gouvernance dans la gestion des affaires publiques, dont les manifestations les plus visibles sont la corruption, la fraude, le blanchiment d’argent etc.

La corruption est un phénomène ancien et évolutif. Ce qui est considéré comme corruption à une époque peut ne plus l’être à une autre et réciproquement. C’est un phénomène de société qui bénéficie d’un traitement médiatique intensif dont on ne dispose pas encore de toutes les données nécessaires pour une analyse approfondie. Cependant, les tentatives d’estimations chiffrées du phénomène montrent que son influence est considérable.

L’influence de la corruption peut être perçue à divers niveaux de la vie politique, économique et sociale. C’est ainsi que l’on évoque très souvent des faits de corruption, avérés ou non, dans les systèmes judiciaires, la gestion des finances publiques, au niveau des services publics, ainsi que dans la sphère de décision politique etc. Les répercussions d’une telle influence sont à la mesure de la diversité des domaines et secteurs touchés : fonctionnement des institutions, redistribution des richesses, accès aux services sociaux de base, planification économique, régulation économique et commerciale etc. Aussi, lutter contre la corruption devient-il pour les gouvernements, un impératif de bonne gouvernance, de développement, pour la satisfaction des besoins des populations. Sur le plan international, les États ont très tôt compris l’importance de la prévention et de la lutte contre la corruption pour briser les obstacles au développement.

Au niveau national, le Sénégal s’est doté au fil des années, d’un cadre institutionnel et juridique s’inspirant des normes, des techniques et des procédures de prévention et de lutte contre la corruption en vigueur au niveau international. C’est ainsi que le Sénégal a ratifié la plupart des instruments juridiques internationaux de lutte contre la corruption dans le cadre de l’UEMOA, de la CEDEAO, de l’Union Africaine et de l’Organisation des Nations Unies.

Après l’adoption de la loi n° 2012-22 du 27 décembre 2012 portant Code de Transparence dans la Gestion des Finances publiques, le Sénégal a mis en place, sur initiative du Président de la République, l’Office national de Lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC) par le vote de la loi n° 2012-30 du 28 décembre 2012. C’est dans le même sillage que la loi n° 2014-17 du 02 avril 2014 relative à la déclaration de patrimoine a été adoptée afin d’assurer le contrôle de l’évolution du patrimoine de certaines personnes impliquées dans la gestion des affaires publiques.

Définition de la corruption

Étymologiquement, le terme latin «corruptus» renvoie aux facteurs de destruction de ce

qui est sain avec une résonance d’images du mal. La notion de corruption a fait l’objet de plusieurs développements et travaux, aussi bien dans le milieu académique que dans les institutions de contrôle des finances publiques. Les spécialistes qui s’intéressent à cette notion sont particulièrement prolifiques, faisant ainsi ressortir différentes approches et paradigmes.

Ce qui montre à quel point la notion connait diverses déclinaisons et suscite des controverses entre les nombreux chercheurs, institutions internationales et organisations non gouvernementales (ONG).

La corruption vue par certains chercheurs

Jean Pierre Olivier de Sardan et Giorgio Blundo , dans une recherche au sein de la sphère publique au Bénin, au Niger et au Sénégal, démontrent que le phénomène de la corruption et les pratiques qui s’y rapportent sont enchâssés dans un contexte « dysfonctionnel» de production de services publics. En effet, le phénomène de corruption« inclut tout un ensemble de pratiques illégales, associées à des fonctions étatiques, paraétatiques ou bureaucratiques, en contradiction avec l’éthique officielle du bien public ou du service public » . Ainsi s’accommode-t-elle, dans une confusion de genres, avec les logiques culturelles comme la négociation, le courtage, le « cadeau », le devoir d’entraide de réseau.

A cette approche socio-anthropologique se greffe une autre, bâtie autour d’une base sociohistorique liant d’une manière très relative, le développement d’une certaine forme de corruption à l’avènement des politiques d’ajustement structurel initiées vers le début des années 80, notamment en Afrique.

Ces deux ou trois décennies d’ajustement structurel ont fini par mettre les agents de l’État en situation de précarité dans les pays en développement. « Ceux-ci, au fil du temps, ont cessé d’être classés parmi les groupes privilégiés de ces États, parce qu’exposés à une logique de survie économique ». Avec cette nouvelle réalité, « des agents de l’État vont progressivement y trouver des instances de légitimation et, en collaboration avec des citoyens, installer et banaliser la corruption ».

Ce qui rend la corruption complexe, c’est moins le mécanisme par lequel elle s’opère que son encastrement dans les systèmes socioculturels des cadres sociaux. Dès lors, une des manières les plus participatives pour comprendre la conception de la corruption est, selon certains chercheurs, de s’intéresser à la manière dont ce phénomène est perçu.

Une autre approche dynamique consistant en ce que la corruption puisse opérer par diffusion, a été développée. Ainsi, « il est possible d’envisager qu’un effet d’entraînement de fonctionnaires corrompus puisse s’étendre et affecter d’autres », selon Anvig et Moene. De ce fait, une cristallisation de mauvais comportements s’opérer en s’articulant autour de croyances et de perceptions des individus. Pour ainsi dire, la corruption évoluera de façon spécifique selon sa perception dans un cadre social déterminé. Ce qui donne une multiplicité d’évolutions du phénomène.

La corruption vue par les institutions internationales

Beaucoup d’institutions internationales et au Sénégal ont essayé de définir la corruption. Le PNUD, dans son document de politique de 1998 intitulé « Fighting Corruption to Improve Governance»,définissait la corruption comme étant « le mésusage de fonctions, d’autorité ou de pouvoirs publics en vue de gains privés par le recours aux pots-de-vin, à l’extorsion, au trafic d’influence, au népotisme, à la fraude, aux paiements accélérateurs ou au détournement de fonds ».

Transparency International, de son côté, a défini la corruption comme consistant en « l’abus d’un pouvoir reçu en délégation à des fins privées ». Cette définition permet d’isoler trois éléments constitutifs de la corruption : l’abus de pouvoir; l’usage à des fins privées; le pouvoir reçu en délégation (qui peut donc émaner du secteur privé comme du secteur public).

Selon la Banque mondiale, la corruption revêt les formes suivantes : les « dessous de table » ou versements à des responsables officiels afin qu’ils agissent plus vite, de façon plus souple et plus favorable; la « fraude » ou la falsification de données, de factures, la collusion, etc. ; l’ « extorsion » ou l’obtention d’argent par la coercition ou la force; le « favoritisme » ou le fait de favoriser des proches; le « détournement de fonds » ou le vol de ressources publiques par des fonctionnaires.

La corruption selon la législation sénégalaise

Pour ce qui est du Sénégal, le code pénal, aux termes de son article 159, définit la corruption en termes clairs. En effet, celle-ci est « le fait pour tout fonctionnaire de l’ordre administratif ou judiciaire, tout militaire ou assimilé, tout agent ou préposé de l’administration, toute personne investie d’un mandat électif, qui agrée des offres ou des promesses, qui reçoit des dons ou présents, pour faire un acte de ses fonctions ou de son emploi, même juste, mais non sujet à salaire ou s’abstient de faire un acte qui entre dans l’ordre de ses devoirs ».

Entre autres instruments juridiques internationaux internalisés par le Sénégal, la loi n° 2007-09 du 15 février 2007 ratifiant la Convention de l’Union Africaine sur la Prévention et la Lutte contre la Corruption, adoptée le 11 juillet 2003 à Maputo, définit en son article 4, un champ très vaste d’application de la corruption et des différentes infractions assimilées.

Tout un ensemble de dispositifs et de structures, le plus souvent adossés à des standards internationaux (Convention de Merida, Convention de l’Union Africaine contre la corruption), furent ensuite mis en place afin d’améliorer les moyens et les résultats de la lutte contre la corruption, avec des résultats plus ou moins positifs. D’après le dernier rapport du classement de Transparency International , le Sénégal est passé de la 69ème place sur 174 pays en 2014 à la 61èmesur 168 pays en 2015. Malgré une« progression lente mais continue depuis trois ans» (score de 44/100 en 2015 contre 43/100 en 2014), il reste tout de même dans la zone rouge, c’est-à-dire en dessous du score de 50/100. Il s’y ajoute que, selon une étude rendue publiqueen2016, 56% des Sénégalais ignorent l’existence des institutions de régulation, de contrôle et de lutte contre la corruption.

L’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), dans une étude publiée en 2007, a révélé l’existence d’un certain nombre de facteurs qui freinent la lutte contre la corruption dans la gouvernance au Sénégal. Les facteurs identifiés pour expliquer la corruption sont entre autres :la politisation de la bureaucratie d’État et son incapacité à fournir efficacement les services sociaux de base; la faiblesse des mécanismes de reddition de comptes; la limitation de la transparence et de l’accès aux informations gouvernementales; la réticence à la décentralisation; les compétences et capacités limitées des Organisations de la Société Civile impliquées dans les activités de lutte contre la corruption; la tolérance publique et l’acceptation généralisée de la corruption basée sur les normes culturelles et sociales, ainsi que sur les traditions.

Selon cette étude, la corruption apparaît au Sénégal comme un comportement« rationnel et calculé». C’est surtout «une quête de mobilité sociale et d’ascension dans la hiérarchie de la société sénégalaise par des revenus pour se hisser à un niveau de vie auquel les auteurs des pratiques illicites aspirent ».

Code pénal sénégalais

Les principales références à la corruption citées par le code pénal sénégalais se retrouvent essentiellement à son article 159. Ainsi, la loi distingue trois catégories de personnes visées pour des faits de corruption, et condamne « quiconque aura sollicité ou agrée des offres ou promesses, sollicité ou reçu des dons ou présents ».

Pour les personnes visées au premier groupe, il s’agit notamment :

  • De ceux qui sont investis : « d’un mandat électif » ;
  • Du « fonctionnaire public de l’ordre administratif ou judiciaire, militaire ou assimilé, l’ agent ou préposé d’une administration publique, citoyen chargé d’un ministère de service public ;
  • Du « dirigeant ou agent de toute nature d’un établissement public, d’un ordre professionnel, d’une coopérative bénéficiant du soutien de l’Etat ou d’une collectivité publique ;
  • Du dirigeant ou l’agent d’un organisme privé chargé d’une mission de service public, d’une association ou fondation reconnue d’utilité publique ou d’une société dont une collectivité publique détient la moitié au moins du capital.

Pour ce premier groupe, l’acte de corruption est pour le législateur sénégalais le fait de « faire ou s’abstenir de faire un acte de ses fonctions ou de son emploi, juste ou non, mais non sujet à salaire ». Le deuxième groupe est constitué par :

  • L’ « arbitre, ou expert nommé soit par le Tribunal, soit par les parties » coupable du fait de « rendre une décision ou donner une opinion favorable ou défavorable à une partie » ;
  • Et enfin, le troisième groupe qui relève principalement du secteur de la santé, est formé par :
  • Le médecin, le chirurgien, le dentiste, la sage-femme, coupables, par la loi, de « certifier faussement ou dissimuler l’existence de maladies ou d’infirmités un état de grossesse ou fournir des indications mensongères sur l’origine d’une maladie ou infirmité ou la cause d’un décès ».

Les peines prévues par la loi pour les faits de corruption pour les personnes citées dans ces trois catégories sont un emprisonnement de deux à dix ans et une « amende double de la valeur des promesses agréées ou des choses reçues ou demandées, sans que ladite amende puisse être inférieure à 150.000 francs. Par ailleurs, la loi punit également les actes qui, bien qu’en dehors des attributions personnelles de la personne corrompue étaient ou auraient été facilités par sa fonction ou par le service qu’elle assurait. Des peines beaucoup plus souples sont aménagées pour des catégories de personnes telles que les commis ou les préposés. La loi a aussi, dans sa réforme de 1999, (Loi n° 99-05 du 29 janvier 1999), aménagé une certaine protection pour les jeunes qui seraient exposés à des faits de corruption. Ainsi, est puni d’un emprisonnement de un à cinq ans et d’une amende de 100.000 à 1.500.000 francs, le fait de favoriser la corruption d’un mineur (article 320 ter).

Perception de la corruption

Le taux de connaissance de la corruption est de 99%. Ce taux renferme ceux qui, de façon spontanée, connaissent le terme « corruption » (75%), mais également ceux qui connaissent la corruption à partir de termes utilisés localement pour la désigner (96,4% de ceux qui ne connaissent pas spontanément le terme corruption). Ces termes sont: « guer », « caissou ardo », « mboukhoum », entre autres.

L’étude s’est également intéressée aux acceptions auxquelles peut renvoyer la corruption. Dans cette perspective, 66,2% des personnes interrogées assimilent la corruption au fait de payer ou de se faire payer pour avoir ou octroyer un service ou une faveur. Une autre acception de la corruption citée par les interviewés est le fait d’utiliser sa position pour passer outre les règles. En effet, 12,6% des Sénégalais pensent que c’est une forme de corruption. Ce qu’il faut noter à ce niveau, c’est que ce n’est pas la position en tant que telle qui pose problème, mais l’usage qui en est fait.

93% des personnes interrogées dans le grand public affirment connaître une ou plusieurs pratiques de corruption. L’essentiel des pratiques connues et citées impliquent un usager et un agent du public ou du privé.

La pratique de corruption la plus connue dans le grand public est celle où un usager demande un service gratuit et propose une contrepartie en nature ou en argent (75,9%). La pratique qui consiste pour un agent à demander une contrepartie en échange d’un service gratuit est aussi citée par 62,4% de la population. Une autre pratique de corruption que connaissent les Sénégalais est celle qui consiste, pour un agent, à retarder un service, en vue de recevoir une offre en contrepartie de la part de l’usager (40,8%).

Par ailleurs, ces pratiques de corruption citées par le grand public sont pour l’essentiel connues par les professionnels. En effet, 82,8% de ces derniers ont cité parmi les pratiques de corruption qu’ils connaissent, le fait qu’un usager demande un service gratuit et propose une contrepartie en nature ou en argent. Le fait qu’un agent demande une contrepartie en échange d’un service gratuit est également une pratique de corruption connue et citée par 47,1% des professionnels. L’offre d’un cadeau par un usager avant ou après un service est aussi une pratique de corruption connue par 24,1% des professionnels.

Par ailleurs, il faut noter que même si les cas de corruption connus sont relativement nombreux dans les secteurs public et privé, les cas vus ne représentent que 59,9% dans le grand public et 26,3% chez les professionnels. Les cas de corruption entendus à la radio, à la télévision ou de « bouche à oreille », sont cependant plus nombreux. Ils représentent un taux de 79,4% dans le grand public et de 60% chez les professionnels. Les cas de corruption lus atteignent un taux de 18,6% dans le grand public.

La catégorisation des cas de corruption par secteur nous permet certes d’avoir une vue d’ensemble, mais n’offre pas une lecture globale de la réalité dans les sous-secteurs. Un exercice de classement des cas de corruption vus, lus ou entendus par sous-secteurs du secteur public donne une idée plus précise. Ainsi, 95,9% des personnes qui ont évoqué des cas de corruption dans le secteur public, l’attribuent au sous-secteur de la Sécurité publique. Viennent ensuite les sous-secteurs tels que la Santé (29,2%), l’Education (26,1%) et la Douane (15,8%). Dans des proportions inférieures à 10%, les Sénégalais ont cité les Impôts et Domaines (6,7%), les Mines (1,4%), l’Energie (1,4%) et la Défense (1,1%) parmi les sous-secteurs du secteur public où des cas de corruption sont connus.

Concernant le secteur privé, c’est le sous-secteur de la Santé qui se trouve être celui dans lequel les cas connus de corruption ont été les plus nombreux, avec un taux de citation de 25,7%. Viennent ensuite les sous-secteurs de l’Education (22,6%), de la Banque et des Assurances (22,6%), des Médias (16%) et des prestations de services (10,9%).

Causes perçues de la corruption

Les causes perçues comme étant à l’origine de la corruption sont multiples et variées. Le manque d’éthique est cité par 72,8% des personnes interrogées dans le grand public comme étant une des causes principales de la corruption. Cependant, pour 54,7% des Sénégalais, il faut rechercher la cause de la corruption dans la pauvreté. Dans la partie traitant de l’environnement de la corruption, les pauvres constituent une composante citée aussi bien chez les initiateurs de corruption que parmi celles qui sont les plus promptes à céder à la corruption.

Par ailleurs, 27,2% des personnes interviewées pensent que la faiblesse des salaires est une des raisons pour lesquelles certains Sénégalais s’adonnent à la corruption. L’ignorance (18,7%), le manque de civisme (18,1%) et de transparence (9,1%) ou encore la mauvaise législation (5,2%) et la bureaucratie excessive (5%), font partie des causes que les Sénégalais ont identifiées comme étant à l’origine des pratiques de corruption. Certaines pratiques relevant de la culture sénégalaise sont également brandies par une minorité des interviewés (0,6%) comme pouvant expliquer la corruption. La politique est aussi une des causes de la corruption pour 0,2% des Sénégalais.

Perception de la lutte contre la corruption

De l’avis des Sénégalais, la perception de la lutte contre la corruption ne saurait se limiter à un seul acteur. Selon eux, certains plus que d’autres devraient jouer un rôle plus prépondérant. C’est le cas de l’État et des citoyens. En effet, les personnes interrogées dans le grand public, considèrent, avec une majorité écrasante (71,7%) que l’État a un rôle central dans la lutte contre la corruption (voir graphique n°19). Chez les professionnels aussi, ce point de vue est partagé par 49,7%. Cependant, pour 53% des Sénégalais du grand public, ce sont les citoyens eux-mêmes qui doivent se constituer en rempart contre la corruption, en jouissant pleinement de leur citoyenneté, concernés et avertis, vecteurs de comportements positifs. Les professionnels de leur côté, ont soutenu avec un taux important de 69%, que ce sont les citoyens d’abord qui doivent être les principaux acteurs de la lutte contre la corruption.

Niveau de connaissance des organes de lutte contre la corruption

La corruption et les pratiques de corruption sont bien connues des Sénégalais, malgré quelques amalgames notés. Cependant, la connaissance d’organisations luttant contre la corruption l’est beaucoup moins, notamment au niveau du grand public. En effet, seuls 22% des personnes interrogées connaissent une ou plusieurs organisations luttant contre la corruption, la majorité (78%) n’étant pas capable d’en identifier une seule.

Par contre, si on considère la cible professionnelle, 96% des agents du public et du privé connaissent des organisations qui ont pour rôle de lutter contre la corruption. Ce décalage entre les deux taux de connaissance d’acteurs institutionnels de lutte contre la corruption est assez significatif pour être relevé. Cependant, la corrélation entre le niveau d’instruction du répondant et le taux de connaissance d’organisations de lutte contre la corruption permet de conclure que plus on a un niveau d’instruction élevé, plus on s’y connait en matière de lutte formelle contre la corruption.

Besoins en informations sur la corruption et sur l’OFNAC

Pour les besoins en informations, les Sénégalais souhaiteraient avoir des informations sur la corruption, ses manifestations, sa typologie, ses acteurs, etc. Ce besoin est exprimé par 31,3% des personnes du grand public et 65,1% chez les professionnels. Les citoyens sénégalais sont aussi intéressés par la stratégie élaborée pour lutter contre la corruption (16,4%), mais aussi par des données sur le coût (15,6%) et l’indice de la corruption (8,3%).

Par ailleurs, malgré leurs nombreux besoins en informations sur la corruption, les Sénégalais qui connaissent la corruption ont été capables de faire des suggestions pour lutter contre ce phénomène. La plus significative d’entre celles-ci est la sensibilisation. Concevoir et émettre des messages destinés aux différentes cibles pour les inciter à adopter les comportements souhaités et à éviter ceux à risques ou prohibés, tel est l’avis le plus partagé pour lutter contre la corruption de l’avis des interviewés. Sanctionner les corrupteurs c’est aussi une des suggestions formulées par les Sénégalais. Ceux qui défendent ce point de vue considèrent que des sanctions sévères décourageraient les plus téméraires à initier la corruption ou à en accepter des tentatives.

Si les coûts économiques et financiers de la corruption peuvent être évalués matériellement et qu’après une procédure de sanction pénale des auteurs, la restitution de la contrepartie à la collectivité est envisageable, le coût moral de la corruption peut être fatal à une société ; en ce sens que ce phénomène attaque et dynamite les fondations que sont ses normes, ses principes et ses valeurs cardinales

Une autre suggestion va dans le sens de plaider pour une revalorisation des salaires des agents du secteur public. Pour beaucoup de Sénégalais, les salaires trop bas des agents de l’Administration (principalement mais pas exclusivement) les poussent à céder à la corruption afin de trouver des ressources additionnelles pour faire face à leurs besoins. Une revalorisation des salaires contribuerait, de l’avis de certains Sénégalais, à diminuer les initiatives de corruption dont les cibles sont les usagers ou les prestataires de service. Pour d’autres, lutter contre la corruption revient à accentuer le contrôle sur les organisations publiques, notamment en renforçant les moyens de contrôle afin de décourager les pratiques de corruption.

Lutter contre la corruption, c’est aussi et avant tout, bien éduquer les jeunes et les moins jeunes afin de les prémunir contre les dangers de la corruption. Cette forme de lutte suppose que les parents et les enseignants s’impliquent pleinement. En effet, la famille et l’école sont les deux lieux où les enfants passent le plus clair de leur temps. Il est important qu’à travers ces deux lieux de socialisation, que le message sur la corruption, comme fléau à éradiquer, soit bien expliqué aux jeunes et que les comportements souhaités face à ce phénomène soient largement diffusés. A ce titre, un sketch réalisé par les élèves de l’école primaire Nalla Ndiaye de Saint-Louis a été filmé et son contenu aborde des formes de corruption et des messages forts qui méritent d’être partagés.

Paiement des pots-de-vin

Dans cette partie, nous allons analyser les montants de pots-de-vin dans les cas de tentatives de corruption relevés dans l’enquête. L’analyse s’est faite par classe d’âge, sexe, niveau d’éducation, revenus du ménage, mais aussi par zone d’habitation. Les moyennes ci-dessous sont calculées sur les bases suivantes :

  1. l’ensemble des personnes enquêtées ;
  2. l’ensemble des personnes ayant reçu une demande de paiement de pot-de vin ;
  3. l’ensemble des personnes ayant cédé à la corruption.

Dans l’ensemble, le montant moyen de pots-de-vin demandé au cours des 12 derniers mois s’élève à 95 406 F CFA par personne. Celui des personnes ayant cédé à la corruption se situe à 100 877 F CFA par an et par personne. Partant de ce montant, il est possible d’estimer le montant global des pots-de-vin versés au cours des 12 derniers mois. Le procédé est simple. Le taux de corruption issu du grand public (14,1%) a été multiplié par le nombre de Sénégalais impliqués dans la corruption (1 174 123) . Ce qui donne un montant global de pots-de-vin payés estimé à 118,44 milliards de F CFA durant les 12 derniers mois.

Coût social de la corruption

Pour ce qui est du coût social, nous partons d’un exemple de corruption rencontré dans le Ngallenka (Podor) qui par essence, est sociale et basée sur l’expression pulaar « Neddo ko bandam » signifiant « les parents d’abord ». Au-delà du fait que c’est une discrimination parentale qui est mise en cause, et donc à l’origine de la corruption, il est possible de trouver des conséquences économiques de ce type de corruption. En effet, en empêchant l’agriculteur d’accéder à l’engrais nécessaire pour bien exploiter son champ, le premier exploitant est obligé de faire des débours supplémentaires tandis que le second est pris dans un cercle vicieux d’où il aura du mal à sortir. Le coût social de ce type de corruption est qu’il a pour conséquence d’appauvrir une famille entière et de la placer dans une situation de dénuement qui peut être fatale.

Si les coûts économiques et financiers de la corruption peuvent être évalués matériellement et qu’après une procédure de sanction pénale des auteurs, la restitution de la contrepartie à la collectivité est envisageable, le coût moral de la corruption peut être fatal à une société ; en ce sens que ce phénomène attaque et dynamite les fondations que sont ses normes, ses principes et ses valeurs cardinales.

En effet, l’instauration de pratiques de corruption et leur propagation dans une société, va d’abord porter atteinte à la légalité et à toutes les procédures qui s’y rapportent dans l’accès au service et dans la régulation de l’économie. Ce faisant, les citoyens qui sont faiblement dotés, voire pas du tout d’un quelconque pouvoir (particulièrement financier, symbolique ou social), vont être arbitrairement privés de services qui pourtant devraient leur revenir de droit. La conséquence de cette situation, c’est la substitution d’un système sociopolitique dont le contrat est fondé sur un lien civique et citoyen par un autre qui, lui, est basé sur le clientélisme, l’allégeance et l’échange marchand. Une telle situation sape l’équilibre de la République dans ce qui fait sa substance.

Recommandations

  • Élaborer la stratégie nationale de lutte contre la corruption en mettant l’accent sur le changement de comportement, par une bonne communication. Cette stratégie devra prendre en considération tous les acteurs et user de tous les moyens disponibles afin de toucher l’ensemble des couches sociales et toutes les composantes de la société. Elle devra trouver dans les langues nationales, un moyen de diffusion dont la portée est encore insoupçonnée.
  • Faire un focus sur les études. Il s’agit d’abord de réaliser périodiquement une étude de perception de la corruption afin de suivre l’évolution des différents indicateurs qui ont été mis en place. Ensuite commanditer des enquêtes mystères qui offrent la possibilité aux enquêteurs de se présenter en tant qu’usagers ou en tant que clients et donc d’être au cœur de l’action. Cette démarche permet de découvrir certaines réalités de la corruption.
  • Se doter d’une législation qui protège et encourage les témoins, les lanceurs d’alerte et les participants aux pactes corrupteurs, à les dénoncer.
  • Adapter, dans les campagnes de communication, des messages destinés à l’ensemble de la population sénégalaise, selon la cible. Les messages qui visent les vecteurs et les personnes qui ont cédé à la corruption, doivent être différents. Cela permettrait de toucher, par rapport à chaque problème constaté, les différentes cibles afin de garantir une bonne communication.