Auteur : Organisation internationale du travail
Site de publication : Organisation internationale du travail
Type de publication : Rapport
Date de publication : Juin 2021
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Introduction
Nulle part dans le monde les activités de soins non rémunérées ne sont équitablement partagées entre les hommes et les femmes. En effet, dans le monde, les femmes consacrent 4 heures et 25 minutes aux activités de soins à autrui non rémunérées, les hommes 1 heure et 23 minutes ; et la pénalisation de la maternité face à l’emploi s’est accrue de 38,4 pour cent entre 2005 et 2015. Face aux responsabilités familiales, ces inégalités constituent des obstacles majeurs à l’activité professionnelle des femmes et à l’égalité salariale. Il en est ainsi au Sénégal où, de plus en plus nombreuses à occuper un travail rémunéré, notamment dans l’économie informelle, les femmes continuent d’assurer une part démesurée des activités de soins à autrui non rémunérées. Ce partage inégal des responsabilités familiales, basé sur la structuration patriarcale de la société, participe significativement à creuser les écarts entre les hommes et les femmes dans le monde du travail sénégalais.
L’économie du Sénégal est dominée par le secteur tertiaire (commerce et services) qui représente près de 45% du PIB (Produit Intérieur Brut). Puis, vient le secteur secondaire (industries agroalimentaires et chimiques, énergie, bâtiments et travaux publics) qui contribue à 20% de la richesse nationale du pays. Le pays a enregistré, en 2015, un taux de croissance de 6,5 % qui l’a hissé au deuxième rang des pays les plus dynamiques en Afrique de l’Ouest, derrière la Côte d’Ivoire. Toutefois, malgré cette embellie, le taux de pauvreté qui, selon les dernières estimations issues du Rapport Développement Humain du Sénégal de 2019 atteint 46,7 %, reste élevé. L’indice du développement humain (IDH) du Sénégal est estimé à 0,514, ce qui le classe dans la catégorie des pays à faible développement humain, et au 166e rang parmi 189 pays et territoires. Malgré les performances réalisées, la croissance, de 6% du PIB en 2019, est bien en deçà du niveau nécessaire pour faire reculer significativement le chômage, le sous-emploi et la pauvreté.
Au Sénégal, depuis plus de trois décennies, le taux de participation des femmes est en constante augmentation ; plus de 40% se retrouvent dans le monde du travail. Malgré la progression du ratio emploi-population, les disparités entre la participation des hommes et des femmes persistent sur le marché du travail.
Une analyse de l’utilisation du temps par sexe, réalisée en Afrique subsaharienne, a montré une interdépendance entre l’économie « de marché » et l’économie « familiale » qui, souvent, conduit les femmes à travailler plus que les hommes. Aussi, le temps cumulé de travail rémunéré et de travail non rémunéré des femmes est plus long que celui des hommes, et une grande partie des activités productives des femmes ne sont pas prises en compte.
L’objectif principal de l’étude est de construire une meilleure connaissance sur le partage des responsabilités familiales dans l’économie informelle au Sénégal. Plus particulièrement, l’étude s’interroge sur comment, dans l’économie informelle, les femmes parviennent à concilier leurs différentes activités productrices et reproductrices.
Temps de travail des femmes sénégalaises dans l’économie informelle
Au Sénégal, les travailleuses de l’économie informelle, malgré le manque d’équipement, consacrent une large partie de leur temps aux soins à autrui, aux travaux domestiques, à la production et la transformation des produits alimentaires, et à la corvée d’eau (et de bois en milieu rural). Ces activités reproductrices, non-rémunérées et non-valorisées, réduisent le temps qu’elles peuvent consacrer au travail marchand et à leurs soins personnels.
Une analyse de l’utilisation du temps par sexe, réalisée en Afrique subsaharienne, a montré une interdépendance entre l’économie « de marché » et l’économie « familiale » qui, souvent, conduit les femmes à travailler plus que les hommes. Aussi, le temps cumulé de travail rémunéré et de travail non rémunéré des femmes est plus long que celui des hommes, et une grande partie des activités productives des femmes ne sont pas prises en compte
Il est à relever que la majorité des femmes de l’économie informelle ont une pluralité d’activités économiques. Toutes celles interrogées en ont au moins deux. Cela est dû à leur volonté de se constituer et d’accroître leurs revenus malgré la précarité de leur travail. Plus que les hommes, les femmes doivent faire face à une très forte concurrence dans l’exercice de leurs activités économiques. En effet, ne nécessitant ni capital financier important, ni savoir-faire spécifique, les entreprises qu’elles mènent sont hautement concurrentielles.
Quel que soit le travail exercé, dans l’économie informelle, les femmes ont des journées à rallonge. À quelques rares exceptions, toutes celles rencontrées se lèvent à 5 heures 30 du matin et se couchent, au plus tôt, à 22 heures, quels que soient leur âge ou leur situation matrimoniale. Mais il ne fait pas de doute que les jeunes femmes avec des enfants en bas-âge, lorsqu’elles travaillent, doivent faire beaucoup de sacrifice pour allier toutes leurs obligations.
Qu’elles travaillent dans l’économie formelle ou informelle, la contribution des femmes sénégalaises à l’entretien et au bien-être de la famille est essentielle à la survie des familles et des communautés. La division sexuelle du travail, telle qu’elle existe dans la société sénégalaise, oblige les femmes, particulièrement les femmes pauvres, à consacrer une partie importante de leur temps aux activités de reproduction. En plus de ces dernières, elles s’investissent énormément dans des activités communautaires, nécessaires à la cohésion sociale. Dans l’économie informelle, ces multiples obligations, qui allongent la journée de travail des femmes, ont des impacts négatifs sur leur santé, limitent leur accès à l’instruction, restreignent leurs activités économiques.
Dans la société sénégalaise, les femmes ont avant tout un statut d’épouse et de mère qui oriente leur éducation et conditionne l’évolution de leur vie. Le mariage répond à des obligations sociales, religieuses et économiques ; et, lui seul permet à la femme d’acquérir une légitimité et une place dans la communauté en tant qu’adulte, d’avoir une relation avec un homme et de procréer.
S’attaquer au manque de temps des femmes
Dans l’économie informelle, alors que les femmes consacrent presque autant de temps que les hommes au travail rémunéré, elles en dédient beaucoup plus au travail non rémunéré. L’insuffisance des services sociaux, des transports publics et des structures d’accueil des enfants (crèche, garderie, préscolaire) accroissent les tensions entre le travail et la vie familiale, et allongent démesurément le temps d’activités des femmes. Cette difficulté à concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale est une véritable source de discrimination dans l’emploi.
En effet, comme analysé plus haut, au Sénégal, il reste solidement ancré que le soin aux enfants et à la famille incombe exclusivement aux femmes.
Il est à relever que la majorité des femmes de l’économie informelle ont une pluralité d’activités économiques. Toutes celles interrogées en ont au moins deux. Cela est dû à leur volonté de se constituer et d’accroître leurs revenus malgré la précarité de leur travail. Plus que les hommes, les femmes doivent faire face à une très forte concurrence dans l’exercice de leurs activités économiques. En effet, ne nécessitant ni capital financier important, ni savoir-faire spécifique, les entreprises qu’elles mènent sont hautement concurrentielles
Des programmes d’allégement des tâches féminines ont été mis en œuvre au Sénégal afin de réduire la pénibilité du travail et d’augmenter le temps disponible pour les femmes. Les moyens d’allégement des tâches auxquels elles ont recours sont la mécanisation et la motorisation dans l’agriculture, ou l’utilisation de technologies appropriées.
La lutte contre le travail des enfants est l’un des défis majeurs et persistants qui accompagnent l’Afrique dans ce troisième millénaire. Au Sénégal, l’enquête nationale sur le travail des enfants de 2007 estimait qu’il y avait 36,7% d’enfants travailleurs.
Dans l’économie informelle, les petites filles accompagnent leurs mères sur leur lieu de travail pour assurer la garde des plus petits ; ainsi, petit à petit, elles font leur initiation et finissent par s’impliquer dans les activités économiques. Cela est accentué dans les familles pauvres où les mères ne peuvent pas faire l’économie du travail de reproduction des filles, notamment celui qui a trait à la surveillance des très jeunes enfants.
La surcharge de travail, même si elle n’est pas souvent prise en compte, joue un rôle déterminant dans la santé des femmes et la santé maternelle. Toutes les femmes enquêtées ont exprimé leur mal vivre face à la nécessité pour elles de concilier leurs activités économiques et leur vie familiale. Selon leurs propres termes, leur vie n’est rien d’autre qu’une accumulation de stress et de fatigue. Ce qui ne manque pas d’avoir des conséquences sur leur état physique mais aussi psychologique. Sans protection sociale, ni protection de la maternité au travail, les femmes qui s’activent dans l’économie informelle sont assez démunies en matière de sécurité-santé au travail.
Conclusion
- Faire mieux connaitre la répartition du temps des hommes et des femmes entre le travail de production et de reproduction
- Promouvoir la sensibilisation sur un partage équitable des responsabilités familiales
- Faire de la « conciliation vie privée et vie professionnelle » un objectif de politique nationale
- Proposer des mécanismes permettant aux travailleuses et travailleurs de faire face à leurs responsabilités familiales dans tous les domaines de la vie.
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