« Il faut lutter afin qu’il n’y ait pas une extrême pauvreté ni une extrême richesse au Sénégal » Sophie Gueye, Entrepreneure sociale

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Extraits

Vous luttez contre l’ichtyose congénitale, une maladie grave, et vous travaillez souvent avec des personnes victimes de cette maladie. Quelles sont les difficultés que rencontrent les personnes et particulièrement les enfants qui vivent avec des maladies graves au Sénégal ?

L’ichtyose congénitale est une maladie rare qui se manifeste au niveau de la peau et des yeux. Les personnes malades suivent à la fois un traitement dermatologique et ophtalmologique.

Aujourd’hui, le plus grand problème que rencontrent ces personnes, c’est la stigmatisation. Nous sommes dans une société qui n’est pas habituée à voir ce genre de maladie et c’est pourquoi on les appelle les enfants crocodiles ou les enfants serpents, d’où notre vaste campagne de communication pour lutter contre cet état d’esprit. La stigmatisation empêche aussi ces personnes d’aller à l’école ou d’évoluer dans des lieux publics.

Au-delà de ça, nous veillons aussi au traitement des problèmes physiques car nous avons perdu beaucoup d’enfants. Si les enfants malades ne reçoivent pas le traitement prévu, ils risquent de ne pas supporter la maladie.

D’une manière générale, quels sont les problèmes que rencontrent les enfants ?

Les gens aiment les enfants mais ça ne veut pas dire que les préoccupations des enfants sont nécessairement prises en compte.

La plus grande interrogation est la place occupée par les enfants dans la société sénégalaise.

Du côté de la santé, l’accès aux soins pour les enfants n’est pas garanti : il faut développer des lois et articles de protection afin que les enfants atteints de maladies puissent être soignés sans contraintes. Des sociétés ont réussi à ouvrir l’accès aux soins au plus grand nombre.

La place des enfants dans la société est vraiment un grand point d’interrogation et le gouvernement, les organisations et les associations doivent trouver des solutions pour éviter que leurs droits soient bafoués

Dans le domaine de l’éducation, beaucoup d’enfants, particulièrement des jeunes filles, ont arrêté leurs études parce qu’ils n’ont pas accès à l’école ou bien font des kilomètres pour aller à l’école.

La place des enfants dans la société est vraiment un grand point d’interrogation et le gouvernement, les organisations et les associations doivent trouver des solutions pour éviter que leurs droits soient bafoués.

Est-ce pour cette raison que vous avez créé Les Racines de l’Espoir ?

Nous sommes des racines de l’espoir, c’est à dire que nous accueillons toute personne qui a besoin d’être entendue et épaulée. Il faut noter que nous sommes beaucoup touchés par la cause des enfants. C’est pourquoi nous communiquons beaucoup sur nos actions avec les enfants, mais nous faisons beaucoup d’autres activités en parallèle.

Comment est née cette passion de se lancer dans le social ?

Je suis né avec cette envie et cette passion de faire du social mon environnement. Ma famille expliquait que quand j’étais petite, je faisais déjà preuve de générosité, comme par exemple dire que personne ne va jouer avec ma maison de poupée parce que c’est une maison pour les enfants qui n’ont pas de papa et maman.

Il y a beaucoup de jeunes que vous inspirez et qui veulent se lancer dans la même chose que vous : partager, être impliqués dans les actions sociales. Mais parfois, il y a cette excuse selon laquelle il n’y a pas de moyens, financiers ou logistiques, dans ce domaine

Je suis Sénégalaise, Africaine et croyante. Tout autour de moi m’oblige à faire du social. Même si nous ne sommes pas des victimes, nous avons probablement soit un membre de la famille, un voisin ou une connaissance qui a un problème. Il faut rappeler que nous vivons dans des sociétés pauvres et dans de telles sociétés, partager devient une obligation.

Il y a beaucoup de jeunes que vous inspirez et qui veulent se lancer dans la même chose que vous : partager, être impliqués dans les actions sociales. Mais parfois, il y a cette excuse selon laquelle il n’y a pas de moyens, financiers ou logistiques, dans ce domaine.

Un cœur qui ne sait pas partager ne peut accumuler de richesses. La vraie richesse n’est pas ce qu’on a dans nos poches et dans nos comptes bancaires, c’est ce qu’on a dans le cœur.

Aujourd’hui, en faisant des levées de fonds, quelqu’un qui n’a que 1000 francs va contribuer à hauteur de 700 ou 500 francs qu’il partage avec l’association pour faire grandir la cause, alors que des personnes qui ont énormément d’argent vont hésiter avant de le dépenser.

Faire du social, ce n’est pas forcément financer : aider une personne à traverser la route, écouter un ami qui a besoin d’oreilles attentives, etc., peut être considéré comme du social.

Pour motiver ces jeunes à se lancer dans des projets, nous avons construit, sans financements ni bailleurs, une maison qui abrite plus de 70 enfants. Nous avons seulement reçu des dons pour élargir cette entreprise, électrifier la maison, créer un jardin potager. Cette maison a été entièrement construite par le financement participatif.

Faire du social, ce n’est pas forcément financer : aider une personne à traverser la route, écouter un ami qui a besoin d’oreilles attentives, etc., peut être considéré comme du social

C’est le cœur qui partage. Ce n’est pas la richesse, ce n’est pas ce qu’on a. C’est le cœur qui partage.

Lorsque vous construisez des orphelinats et des toilettes, lorsque vous apportez de l’eau ou de l’électricité dans des endroits reculés, ne pensez-vous pas que vous faites le travail de l’État ?

Pas forcément. L’État a le budget pour agir, et l’obligation aussi car l’aide sociale entre dans son champ d’action et les dirigeants politiques sont élus dans cette optique.

Mais je pense qu’il ne faut pas attendre l’État, car le taux de mortalité ne nous attend pas. Ces femmes qui accouchent chez elles ne nous attendent pas. Ces enfants qui meurent dans les endroits les plus reculés ne nous attendent pas.

Que ce soit le rôle de l’État ou non, l’essentiel est de sauver des vies humaines, car la vie n’a pas de prix. C’est le rôle de l’État, certes, mais cette passion que nous avons d’aider nous pousse à le faire de façon désintéressée. Et l’essentiel, c’est d’améliorer une vie ou de sauver une vie.

Qu’est-ce que l’État devrait faire pour améliorer le bien-être des jeunes et des enfants ?

Il faut revoir les priorités. Aujourd’hui, prendre soin de la jeunesse et des enfants, c’est prendre soin de l’avenir du Sénégal. Donc, si l’État n’investit pas dans la jeunesse et la petite enfance, il hypothèque l’avenir du Sénégal.

Où est ce que l’État doit investir ? Dans quelles priorités ?

L’État doit intervenir en priorité dans la santé et l’éducation. Pour ne pas abrutir une population, il faut l’éduquer.

Du côté de la jeunesse, il faut développer l’entrepreneuriat parce que le taux de chômage est très élevé pour un peuple qui a plus de 60 % de jeunes. On se retrouve avec plusieurs jeunes qui chôment donc il faut investir dans la jeunesse à travers la santé, l’éducation et l’entrepreneuriat.

Avoir un emploi et des activités économiques sont importants pour l’émancipation et l’indépendance des jeunes. C’est pourtant un défi à Dakar mais encore plus en dehors de la capitale. Alors que les actions des Racines de l’Espoir ne se limitent pas à Dakar, lorsque vous allez dans les régions, qu’est ce qui y manque pour créer de l’emploi et de l’activité économique pour les jeunes ?

Les ressources existent déjà. Lorsque vous allez dans une région où les jeunes ont l’habitude de faire de l’agriculture, il suffit de mettre à leur disposition du matériel pour travailler. En plus, cela permettrait d’encourager la transformation et la vente plutôt que l’importation. C’est pareil pour l’élevage.

On a même des jeunes chercheurs scientifiques qui ne demandent que du matériel pour pouvoir nous fournir des recherches concrètes, des jeunes qui peuvent faire le travail qu’aujourd’hui beaucoup d’institutions étrangères font ici au Sénégal. L’État doit former puis outiller ces jeunes.

Pensez-vous que les jeunes sont déçus de la capacité de l’État à réformer la chose publique afin que les jeunes puissent en tirer profit ?

Je ne peux pas parler au nom de tous les jeunes. En revanche, lorsque vous avez le budget pour, que des élus sont désignés, mais que la jeunesse ne se retrouve pas là-dedans, c’est frustrant.

L’État fait face à une jeunesse frustrée. C’est un phénomène normal puisque les jeunes ont des diplômes, des compétences mais en dépit de cela, ils ne trouvent pas d’emploi. Mais lorsque les jeunes ne peuvent pas compter sur le soutien de l’État alors ils doivent créer eux-mêmes leurs propres opportunités.

Pensez-vous que ce discours est suffisamment fort et puissant pour convaincre les jeunes qui veulent immigrer clandestinement ?

Chacun a son histoire, donc donner un conseil à une personne implique de l’écouter d’abord.

Ces jeunes qui risquent leur vie pour la réussite, il faut juste leur dire de s’accrocher et de croire qu’ils peuvent réussir chez eux. Mais je ne donne que mon avis, chaque trajectoire est unique.

Ma vision personnelle c’est que plutôt que fuir, il faut s’accrocher à notre foi et à nos convictions. De plus, qui va faire grandir le Sénégal si tout le monde part ? Que deviendront nos enfants ? Il ne faut pas laisser ce pays dans les bras de personnes qui profitent de chaque occasion pour voler, commander et appauvrir le Sénégal.

Vous avez parlé du fait que les jeunes doivent saisir ou créer leur chance. Dans le secteur humanitaire, il y a beaucoup d’organisations internationales créées par des moins jeunes. Pourquoi est-ce important d’avoir Les Racines de l’Espoir, une organisation créée par une jeune, une femme et une Sénégalaise ?

Si c’était pour faire ce que tout le monde fait, j’aurais rejoint ces organisations. Tout le monde fait un travail extraordinaire pour changer les choses mais avec les Racines de l’Espoir, à travers des actions comme la construction de la Maison de l’Espoir, ce sont des jeunes Sénégalais qui œuvrent pour l’avenir. Ces jeunes-là, même s’ils n’ont rien réalisé de leur vie demain, pourront dire qu’ils ont créé une maison pour les enfants.

Ce n’est pas seulement des missions humanitaires ponctuelles que l’on fait mais nous créons une chaîne de solidarité. Nous soutenons ces enfants bénéficiant d’une aide, nous les accompagnons pour le futur. Nous préparons l’avenir du Sénégal sur le plan humanitaire. Les Racines de l’Espoir s’active pour parer aux défis à court terme, mais aussi à long terme.

Et comment voyez-vous le futur du Sénégal d’ici 100 ans ?

Pour ce qui est des Racines de l’Espoir, si on réussit notre mission, nous verrons de très belles âmes, des personnes capables de perpétuer nos actions.

Nous ne cherchons pas l’égalité mais l’équilibre. L’égalité n’existe dans rien. Il faut plutôt lutter afin qu’il n’y ait pas une extrême pauvreté ni une extrême richesse. Chacun doit bénéficier du minimum pour jouir d’une dignité humaine.

On a une richesse, on a une jeunesse très riche. Il manque juste à mettre cette jeunesse sous les projecteurs afin que dans 100 ans, il y ait d’autres jeunes qui puissent s’inspirer de ces discours et que le Sénégal puisse être un pays développé. Nous avons les ressources, la foi, la persévérance.

 


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Sophie Gueye

Sophie Gueye est une jeune sénégalaise qui a grandi à Hann Maristes. Elle est fondatrice de l’association LES RACINES DE L’ESPOIR. Sur le plan professionnel, elle travaille pour le département marketing d’une entreprise dénommée KOPAR EXPRESS et en freelance pour le compte d’autres entreprises. Elle est l’ambassadrice de SAMSUNG ELECTROMENAGER au Sénégal.

Âgée de 29 ans, elle met en place une grande chaîne de solidarité dénommée Les Racines de l’espoir pour venir en aide aux personnes dans le besoin, particulièrement les enfants souffrant de maladies rares. C’est un rêve d’enfant qui est à l’origine de cette belle initiative. Sophie a toujours eu le cœur sur la main devant la détresse de son prochain. Devant les enfants démunis ou malades, elle ressent le besoin de soulager du mieux qu’elle peut leur peine.

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