« J’ai failli arrêter le graffiti parce que la société juge trop les gens » Zeinixx, Artiste-Graffeuse

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Extraits

Lorsqu’on parle de graffiti au Sénégal, on pense à des pionniers comme Docta. Il y a des associations comme Africulturban qui promeuvent les artistes de manière générale, et les graffeurs en particulier. Comment ces personnes et ces institutions ont-elles influencé ton parcours?

Avant, je peignais tout simplement. J’ai découvert le graffiti en 2007 et je m’y suis intéressée. Quand j’ai voulu m’y pencher, on m’a redirigé vers l’association Africulturban. C’est là que j’ai rencontré Al Mukhtar Graffixx qui était le graffeur de la maison à l’époque. Je suis arrivé et j’ai dit « ouais, salut. Je voudrais apprendre à faire du graffiti ».

Donc, c’est là que tout a commencé. Fin 2007, début 2008, j’ai commencé à apprendre le graffiti avec Graffixx. J’ai commencé aussi à intégrer l’association Africulturban, à me pencher un peu plus sur le hip hop et les cultures urbaines. Cela a commencé à m’intéresser parce que, quand on fait une chose, il est bien de savoir dans quoi on s’engouffre pour savoir ce qu’on veut faire au juste et si les causes qu’on veut défendre sont nobles.

C’est comme ça que tout a commencé. C’est par la suite que j’ai connu Docta et les membres du RBS Crew : Mad Zoo, King Mo, Krafts, Diablos, etc. Au fur et à mesure, on a cheminé ensemble, on a fait des choses ensemble. Et jusque-là, on continue à faire des choses ensemble. Alors oui, j’ai tout appris à Africulturban que ce soit le slam, le graffiti…

Tout mon engagement vient de là aussi. Il y a toujours quelque part où on puise cette énergie qui nous booste. Toute cette effervescence, ça vient de quelque part et pour moi, c’est Africulturban.

A ton avis, pourquoi le hip hop a été si populaire auprès de la jeunesse sénégalaise?

C’est la forme d’art qui parle le plus aux jeunes. C’est frais, c’est direct. Il n’y a pas toujours anguille sous roche dans les textes ou dans les visuels. On retient des rappeurs le fait qu’ils soient plus ou moins  » cash « .

Quand on fait une chose, il est bien de savoir dans quoi on s’engouffre pour savoir ce qu’on veut faire au juste et si les causes qu’on veut défendre sont nobles

Quand les jeunes s’identifient à un mouvement, il y a forcément une raison. Cela peut être dû à un événement, cela peut être dû au  » mood « . Les gens sont beaucoup plus de tendance hip hop.

Penses-tu que c’est aussi parce que c’est un canal d’expression politique? On a vu que dans l’histoire du Sénégal, le mouvement hip hop a toujours été beaucoup lié à la politique?

Oui, en partie. C’est un canal d’expression qui offre pas mal de possibilités. C’est à dire que quand tu arrives à toucher le plus grand nombre via un canal, je pense qu’à ce moment, tu peux mesurer l’impact de ce canal et son importance.

Mais, il y a d’autres points qu’on oublie de soulever parfois. Par exemple, le côté spirituel et le côté religieux. Si on prend l’exemple de Daddy Bibson qui a chanté « Baye Niasse », Bideew bou bess, etc., tous ces artistes font partie du mouvement hip hop. Et c’est un canal qui leur a permis d’échanger avec les jeunes et de passer leurs messages. Donc, pour moi, ce n’est pas que politique, c’est aussi social, spirituel, religieux, culturel.

A propos de l’aspect social du hip hop, à Africulturban vous l’utilisez comme moyen de réinsérer les anciens détenus de prison et leur offrir une deuxième chance dans la société. Comment parvenez-vous à le faire? 

C’est dans le cadre du partage. Ce projet s’appelle YUMA (Youth Urban Media Academy) et il a eu deux éditions. Pour ces deux éditions, nous avons eu 14 jeunes anciens détenus de la maison de correction pour mineurs Fort B. Ce projet a pu aider des jeunes pour une bonne réinsertion sociale au sein de leurs communautés.

On a un regard particulier au Sénégal par rapport à l’incarcération, par rapport aux prisons alors qu’on oublie toujours que l’erreur est humaine. Ces jeunes-là ont droit à une deuxième chance. C’est pour cette raison que le projet YUMA a été créé et a accompagné les jeunes pendant une durée bien déterminée sur des formations en audiovisuel. Il y avait un bon nombre de formations dont le français, l’anglais, la musique assistée par ordinateur, le community management, le « social living », la photo, la vidéo, le graphisme, l’infographie et l’informatique.

Aujourd’hui, ces jeunes ont pu tourner la page et vivre tranquillement au sein de leurs communautés. Ce sont des jeunes qui ont réussi et qui arrivent à faire des choses. Oui, j’appellerais ça un bel exemple de réussite pour ces jeunes.

Est-ce qu’il y a un exemple que tu peux partager avec nous? Une histoire qui t’a marqué parmi ces jeunes?

Oui, il y a l’histoire de Mass Massaly. Il a été détenu à Fort B pendant quatre années. Quand il est sorti et qu’il a rejoint la team YUMA, il a opté pour la vidéo. Aujourd’hui, pour toutes les personnes qui ont besoin de vidéos ou bien de spots ou de choses comme ça, on l’appelle. Lui comme Pape Ndiaye et d’autres. En ce moment, il est en train de réaliser son film documentaire.

Ces jeunes se penchent sur la situation des jeunes incarcérés. Ils veulent montrer au monde, mais surtout au Sénégal, que ce n’est pas un échec d’aller en prison ni une fatalité. Ils veulent rappeler aux parents et aux jeunes que parfois, on fait des erreurs mais on a le droit à une deuxième chance. Ils veulent montrer qu’il y a beaucoup de potentiel chez les jeunes et qu’il faut savoir leur tendre la main. Ils y arrivent et s’en sortent aujourd’hui.

Ils ont réalisé pas mal de projets avec nous. Par exemple, la Coopération italienne a vraiment voulu que ces jeunes-là accompagnent sur des projets qu’on avait en commun. C’est le cas du projet « Fo djëm » qui est un projet de capsules radio de cinq minutes. A chaque fois, c’était accompagné de capsules vidéos qui sont passées à la télé, qui sont sur YouTube ou sur la chaîne de la coopération. Et ce sont les jeunes qui ont filmé, qui prennent les photos et qui font le montage, le sous-titrage en anglais, en français et en italien. Donc ça, c’est quand même une fierté de pouvoir souvent en parler.

Pourquoi la société a un jugement aussi difficile envers ceux qui ont connu la prison, prisons dans lesquelles on retrouve pour une grande partie de jeunes?

Nous vivons dans une société qui est très particulière et qui a ses habitudes, sa façon de faire. Personnellement, je ne saurais pas vraiment l’expliquer, mais je pense qu’on juge trop. On juge trop et on juge trop vite. On juge les gens de par ce qu’ils ont fait, de parce qu’ils sont, de par comment ils sont. Même leur manière de s’exprimer, de marcher, de s’habiller, on juge tout. Et le problème principal, il est là: on juge.

Est-ce que cela limite les gens qui veulent s’émanciper, surtout les jeunes qui veulent entrer dans l’âge adulte?

Beaucoup. Parce que ces jugements-là sont devenus un baromètre en fait. C’est à dire que ce sont les gens qui décident si tu dois continuer à faire quelque chose ou pas. Tellement ils parlent, si tu n’as pas une très forte mentalité, tu n’avanceras pas. C’est le commun des Sénégalais souvent. Moi, mon problème, c’est la manière que les gens ont de juger.

Ces jeunes se penchent sur les jeunes incarcérés. Ils veulent montrer au monde, mais surtout au Sénégal, que ce n’est pas un échec d’aller en prison ni une fatalité

Est-ce que c’est quelque chose que tu as personnellement expérimenté? Je rappelle que tu es la première femme graffeuse du Sénégal, dans un domaine qui est fortement masculin. Mais au-delà de ça, est-ce que cela t’a limité d’une certaine manière?

Au début, oui. C’est ce que je disais tout à l’heure. Les gens te jugent sur ton apparence, sur la taille, sur la corpulence, sur la façon de s’habiller, sur la manière des femmes de se maquiller. Pourquoi tu portes du rose alors que t’es un homme? Pourquoi tu portes du bleu? Tu es une femme. Pourquoi ceci? Pourquoi cela? C’est devenu un grand-place. Cette société a créé un grand-place pour tirer sur les gens, pour juger les gens qui veulent devenir quelque chose, qui veulent faire quelque chose. Et ça limite souvent.

Si je veux parler de mon expérience personnelle, j’ai failli arrêter le graffiti à un moment donné parce que la société juge tout simplement. La première femme graffeuse, cela veut dire que j’étais la seule avec les gars quand on était devant un mur pour peindre une fresque. Au moment où les gars avaient droit à « Respect frère! C’est nice. » Moi j’avais droit à « Eh, ce n’est pas comme ça qu’on tient un pinceau »,  « C’est pas comme ça qu’on tient un rouleau ».

Bon, c’est très taquin. On sait que le Sénégalais est très taquin, mais ils te rappellent indirectement que t’es une femme. La question est présente. Elle ne se pose pas, mais le point d’interrogation est là: Qu’est-ce que tu fais là? Est-ce que c’est ta place? Parfois, j’entendais: « Va aider ta mère à la cuisine, va faire le ménage ». C’est une société très machiste, en fait.

On juge trop et on juge trop vite. On juge les gens de par ce qu’ils ont fait, de parce qu’ils sont, de par comment ils sont

Alors oui, il m’est arrivé pas mal de choses comme ça. Et au moment où on devrait se dire « C’est bien! Il y a une femme, il y en aura d’autres, ce serait bien ». Mais non, on se demande ce qu’elle fait là. C’est toujours des questionnements autour de la place des femmes dans le hip hop, dans les cultures urbaines, dans la culture en général.

Aujourd’hui, on voit de plus en plus de femmes qui font des choses, qui chantent, qui rappent, qui dansent, qui font du DJing. Mais tout ça, c’est parce qu’il y a eu des écoles. Par exemple, la première école de DJ a été créée par Africulturban avec DJ Geebayss, qui a formé DJ Zeyna, DJ Nina, etc. Aujourd’hui, on a DJ Mami, DJ Channel. Voilà, comment ça a commencé.

C’est en offrant aux femmes ce cadre-là, les appeler à apprendre, à venir faire ce qu’elles ont envie de faire, à venir expérimenter cette passion cachée là qu’elles n’osaient pas dévoiler au grand jour parce que c’est un milieu qui a longtemps eu des préjugés. Pendant très longtemps, nos parents ont toujours taxé ce milieu-là de négatif.

Il y a une phrase que j’ai l’habitude de dire souvent: c’est dire aux jeunes de ne pas laisser les autres choisir à leur place. Là aussi, c’est un problème. Si tout jeune, on commence à te modeler, à te dire toi, demain, il faut que tu sois docteur comme ton grand père l’a été. Dans la tête de cet enfant, il va être docteur. Tu es en train de lui mettre des rêves dans la tête alors que ce jeune-là a ses propres rêves avec lesquels il est censé grandir. Il est censé essayer des choses.

Si cet enfant-là va à l’école et qu’il est nul en maths, comment va-t-il faire pour être médecin après ça? C’est-à-dire que tu es en train de briser petit à petit une personne sans le savoir. Souvent, on n’attache pas une grande importance à ce qu’on dit aux enfants.

Aujourd’hui, on voit de plus en plus de femmes qui font des choses, qui chantent, qui rappent, qui dansent, qui font du DJing. Mais tout ça, c’est parce qu’il y a eu des écoles

« Toi, tu devrais être ça! » Est-ce que c’est à toi de le dire? Est-ce que ce n’est pas à lui de chercher ce qu’il rêve de devenir? Tout le monde rêve de réussir. Personne ne rêve de grandir, de rester toute la journée à la maison. Tout le monde veut devenir quelque chose. Mais pour devenir ce quelque chose là, il faut laisser aux gens la latitude de choisir d’être demain mécanicien ou menuisier, ou docteur, ou pilote ou artiste, etc. afin qu’ils se façonnent eux-mêmes.

Tu lances un appel à la patience et à la tolérance envers les jeunes. Quel est ton dernier mot en dehors de celui-là?

Lancer un appel à la paix. Sans celle-ci, rien ne marche, rien ne fonctionne. Il faut de la patience envers les jeunes, envers les moins jeunes, envers tout le monde. Cultivons la paix et l’amour dans le monde.

 


Crédit photo : Khalilpro

Zeinixx

Née dans la banlieue de Thiaroye gare, Zeinixx, de son vrai nom Dieynaba Sidibé, est la première femme gaffreuse au Sénégal. Elle est aussi chargée de communication à Africulturban, association dédiée à la promotion artistique et sociale. Elle est slameuse, chanteuse, rappeuse au sein du duo avec Salla Ngary. Elle est aussi activiste pour des causes sociales, environnementales, politiques, les droits de la femme et de l’enfant.

Ses graffitis peuvent se retrouver en face des Hôpitaux universitaires de Genève ou sur les murs de Dakar, incluant la façade de l’ambassade des États-Unis au Sénégal.

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