La gouvernance des aires marines protégées au Sénégal : difficulté de la gestion participative et immobilisme des comités de gestion, VertigO, Mai 2021

Auteurs : El hadj Bara Deme, Pierre Failler and Grégoire Touron-Gardic

Revue de publication : VertigO

Site de publication : journals.openedition.org

Type de publication : Article de revue

Date de publication : Mai 2021 

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* Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.


Situé sur la façade ouest-africaine et profitant de conditions hydrologiques et écologiques particulièrement favorables aux ressources halieutiques, le Sénégal dispose d’un secteur de la pêche performant tant en matière d’effectifs que de volumes de captures. Toutefois, dans un contexte de fortes pressions écologiques, ces ressources sont globalement surexploitées depuis au moins deux décennies.

Entre 2004 et 2014, le Sénégal a mis en place sept aires marines protégées (AMP) couvrant une superficie totale de 206 162 ha, avec pour objectif de préserver la biodiversité marine, de reconstruire les habitats et d’améliorer les conditions de vie des communautés locales.

Ces AMP sont placées sous la tutelle du ministère de l’Environnement et de la Direction des aires marines communautaires protégées (la DAMCP), bien qu’elles soient gérées à l’échelon communautaire.

Synthèse de l’évaluation du cadre de gouvernance : fragilité organisationnelle des comités de gestion des AMP au Sénégal

Il ressort du cadre d’évaluation des AMP mis en place et des enquêtes de perception que la fragilité organisationnelle notée des comités locaux de gestion des AMP est le principal obstacle à la gestion participative dynamique des AMP du Sénégal.

Entre 2004 et 2014, le Sénégal a mis en place sept aires marines protégées (AMP) couvrant une superficie totale de 206 162 ha, avec pour objectif de préserver la biodiversité marine, de reconstruire les habitats et d’améliorer les conditions de vie des communautés locales

Les dysfonctionnements, largement partagés par tous les comités de gestion, portent sur le non-renouvellement du leadership local et des organes de gouvernance (statutairement le bureau doit être renouvelé tous les deux ans), le non-respect des réunions statuaires, le déséquilibre de fonctionnement inter-organes qui se traduit souvent par un bureau exécutif dynamique et une léthargie totale des commissions techniques. Le poids incontestable des leaders locaux constitue également une entrave au renouvellement des instances de gouvernance.

Les enquêtes sur le profil des membres des comités de gestion des AMP montrent que plus de 90 % des membres ont plus de 45 ans, posant la question de la représentativité des jeunes au sein des instances et de la relève générationnelle pour assurer la pérennité des actions.

Les rencontres du bureau exécutif doivent se tenir deux fois le mois et l’assemblée générale tous les deux ans. Aucun des comités de gestion étudiés ne respecte ces rencontres statutaires. L’engouement à organiser des réunions est lié aux capacités financières de l’institution à distribuer des contributions financières (per-diem) aux participants.

Les enquêtes sur le profil des membres des comités de gestion des AMP montrent que plus de 90 % des membres ont plus de 45 ans, posant la question de la représentativité des jeunes au sein des instances et de la relève générationnelle pour assurer la pérennité des actions

À cela, il faut ajouter la faible mobilisation des pêcheurs actifs, lors des réunions épisodiques, occupés par des sorties quotidiennes de pêche ou des marées de longue durée. Enfin, la gestion managériale et financière des institutions de cogestion n’est pas des plus transparentes.

Dualité entre la gestion participative versus la gouvernance directive : incohérence du cadre local de gestion des AMP

Il existe un paradoxe entre la gestion participative et la gouvernance directive. Ainsi, plus de 70 % des acteurs jugent conflictuels les rapports entre les comités de gestion et la DAMCP. De l’avis des gestionnaires des AMP, la DAMCP dépasse ces prérogatives en créant en son sein des commissions qui existent déjà au niveau des comités locaux de gestion des AMP.

Ce conflit fait ressortir la dualité entre les deux approches de gouvernance » bottom-up » versus « top-down ».  Au-delà de cette dualité entre l’institution étatique et locale, l’essentiel des acteurs interviewés fait état d’une problématique plus importante, à savoir l’incohérence du cadre de gouvernance des pêches à l’échelle locale. En effet, les sites de pêche au Sénégal sont marqués par une superposition d’entités locales de la pêche (groupements d’intérêts économiques interprofessionnels ; comités de gestion des AMP ; Conseils locaux de pêche artisanale (CLPA), associations des pêcheurs) imbriqués dans le cadre de la gouvernance locale des pêches.

Quelle gouvernance pour les AMP du Sénégal ? 

Concernant la démocratisation des comités locaux de gestion, il semble qu’il soit aujourd’hui impératif d’amener les leaders du mouvement à se conformer aux statuts juridiques de leur comité dont ils ont la charge, notamment en matière de renouvellement des instances de coordination. Un mandat de trois ans renouvelable qu’une seule fois devrait être envisagé.

Il existe un paradoxe entre la gestion participative et la gouvernance directive. Ainsi, plus de 70 % des acteurs jugent conflictuels les rapports entre les comités de gestion et la DAMCP. De l’avis des gestionnaires des AMP, la DAMCP dépasse ces prérogatives en créant en son sein des commissions qui existent déjà au niveau des comités locaux de gestion des AMP

À cela il faut ajouter que les membres n’ont pas bénéficié de formation leur permettant de faire face aux exigences de gestion des comités locaux. Le résultat en est souvent l’absence de bilan comptable, de procès-verbaux de réunions et de suivi des partenaires. Face à ce manque de professionnalisme, la mise en place d’activités de renforcement de capacités régulières à leur profit est recommandée, pour stimuler une approche entrepreneuriale et technique.

Le choix des membres devant occuper les postes stratégiques comme les administrateurs des comités locaux de gestion des AMP devrait alors se faire en prenant réellement en compte les critères de qualification et d’aptitudes des acteurs locaux à assumer pleinement et efficacement ces responsabilités.

Afin de mettre en œuvre ces recommandations, la mise en place au préalable d’une grille de variables de suivi et d’évaluation organisationnelle des comités locaux en partenariat technique avec les projets de développement (surtout intervenant dans le cadre de la gouvernance participative), l’administration (avec la DAMCP) et la recherche halieutique (CRODT) pourrait être conduites de manière régulière et de sorte à apporter les corrections nécessaires au moment opportun.