« L’ancienne génération, celle de nos parents, est une génération dépassée pour prendre en charge les questions environnementales » Fatma Sylla, Coordonnatrice de programme écologique

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Extraits

Fatma Sylla, pourriez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Fatma Sylla Touré, je suis coordonnatrice d’un programme d’écologie à la Fondation « Heinrich Boll ». C’est une fondation politique allemande. Nous travaillons au Sénégal depuis trois ans sur les thématiques de l’écologie et de la démocratie. Nous travaillons avec les acteurs de la cellule étatique, mais également les acteurs décentralisés pour l’émergence d’une société plus juste où la protection de l’environnement sera au cœur de nos actions.

Vous vivez à Dakar. Lorsque l’on vit dans une des villes les plus polluées du monde, une ville où les déchets sont partout autour de vous, les arbres sont coupés, ou le changement climatique affecte et défigure la ville. Quel espoir peut vous mener à lutter pour des causes environnementales ?

Toutes ces problématiques que vous avez évoquées – la pollution, la dégradation de l’espace public ou également tout ce qui est lié à la gestion des nuisances – c’est une source d’espoir. Si nous laissons tout à l’état de dégradation, nous ne pourrons pas vivre dans cette ville. Donc il est important qu’on puisse garder espoir pour que toutes ces dégradations, ces nuisances que nous retrouvons au niveau de la ville de Dakar ou des autres villes sénégalaises, puissent cesser. Donc, gardons l’espoir pour trouver des solutions avec tout le monde.

Ce n’est pas juste une fondation allemande qui vient au Sénégal pour avoir cette prétention de trouver des solutions au niveau environnemental. C’est avec tout le monde, la société civile, avec les jeunes, l’État du Sénégal que nous allons tous ensemble trouver des solutions.

Les conséquences du changement climatique et les problèmes environnementaux sont tellement nombreux dans le pays et tellement présents dans la vie quotidienne de beaucoup de citoyens. Pourtant, les Sénégalais ont cette réputation de ne pas être intéressés par les questions environnementales. Qu’y a-t-il à faire ?

Quand nous disons que les Sénégalais ne s’intéressent pas aux problématiques environnementales, ce sont juste des préjugés. Les gens qui habitent à Bargny ne diront pas qu’ils ne sont pas intéressés par les problématiques environnementales. Les paysans qui voient que les pluies ont baissé en termes de quantité et de qualité, ils ne diront pas qu’ils ne sont pas conscients des problèmes environnementaux. Les gens qui voient l’érosion côtière détruire leurs habitations, eux sont conscients de ce que c’est la problématique environnementale. Donc tous les habitants au Sénégal qui sont impactés directement par les effets du changement climatique le voient bien.

Tous ces acteurs-là sont conscients des problématiques environnementales et veulent y trouver des solutions. Donc, quand nous disons que les Sénégalais ne s’intéressent pas aux problématiques environnementales, je pense que ce sont juste des préjugés. Nous avons tendance à voir que les gens sont confrontés à cette problématique et veulent trouver des solutions.

Lorsque les gens sont conscientisés des problématiques auxquelles ils sont confrontés, ils seront plus enclins à trouver des solutions, à faire une sorte de collaboration avec les maires au niveau local pour trouver des solutions afin de s’attaquer à cette problématique environnementale.

quand nous disons que les Sénégalais ne s’intéressent pas aux problématiques environnementales, je pense que ce sont juste des préjugés

Il ne faut pas se leurrer : le Sénégal est un pays sous-développé, nous avons d’autres urgences en termes de santé, d’éducation, de l’accès à l’alimentation de qualité. Ce sont des problématiques que nous devons gérer. C’est pour cela que nous avons tendance à dire que les problèmes environnementaux sont relégués en arrière-plan alors que ce n’est pas la réalité.

Puisqu’il y a une conscience environnementale qui commence à naître chez les Sénégalais, comment se fait-il que cette conscience environnementale ne soit pas retrouvée au cœur de l’action publique, chez les députés, chez les politiciens, chez les maires ?

C’est un problème que nous vivons parce que tous nos acteurs politiques au niveau local, au niveau central mettent l’accent sur les actions de politique politicienne au détriment de toutes les questions urgentes telles que l’environnement ou la santé.

Même au niveau des médias, ce sont les faits divers qui vendent le plus. Dans les médias écrits comme dans la radio, on parle très rarement des questions liées à l’environnement. On relaye les catastrophes naturelles, mais en termes de prospective, c’est très rare de voir des propositions dans les médias.

Les médias doivent jouer le rôle de mettre en avant toutes ces questions environnementales. C’est à partir de là que l’État va savoir que c’est une urgence et ils doivent se plier en deux pour trouver des solutions par rapport à ces problématiques environnementales. Donc les médias aussi ont un rôle à jouer.

Si la population fait des actions au niveau local, dans les quartiers et les villes mais que ce n’est pas relayé, les gouvernements n’en sauront rien pour pouvoir agir concrètement.

Pour vous, quelle est la catastrophe environnementale la plus grande que Dakar ou le Sénégal ait connu ?

Tout ce qui est lié à l’érosion côtière est important parce que le Sénégal a 700 kilomètres de côtes. S’il y a une érosion côtière, ce sont des milliers de personnes affectées alors que nous savons que la population sénégalaise s’installe sur la frange côtière. Beaucoup de populations sont très impactées par tous ces problèmes liés à l’érosion côtière. Dans les études, c’est l’une des problématiques environnementales qui revient le plus.

A part cela, il y a la pollution en général : la pollution de l’air, pollution sonore, pollution maritime, etc. Dakar est l’une des villes les plus polluées au monde. Il y a également la question des nuisances liées à la gestion des déchets. Notre système de gestion des déchets est vraiment défaillant et cela a fait que beaucoup de déchets n’arrivent pas à la décharge et la décharge n’est même pas contrôlée. La décharge de Mbeubeuss est une bombe écologique, c’est l’une des plus grandes décharges au monde.

Tout ce qui est lié à l’érosion côtière est important parce que le Sénégal a 700 kilomètres de côtes

Le Sénégal a des superlatifs très néfastes en matière d’environnement. Mbeubeuss est l’une des décharges les plus importantes du monde. Nous sommes l’un des pays les plus impactés par l’érosion côtière. En termes de pollution de l’air, Dakar est l’une des villes les plus polluées. Si l’on regarde les problématiques environnementales, Dakar est une bombe écologique.

Quels sont les risques que cela pose pour les prochaines générations ?

Rien que la pollution de l’air est liée à l’asthme et aux problèmes pulmonaires. Beaucoup de notre génération sont asthmatiques ou auront des problèmes respiratoires. Cela est dû au problème de la qualité de l’air.

Tout ce qui est lié à l’érosion côtière menacera aussi des activités humaines. La pêche par exemple.

Si l’on regarde les problématiques environnementales, Dakar est une bombe écologique

Un autre exemple est la brèche de Saint-Louis. Combien de morts ont été recensés ? Des déplacés climatiques ont aussi été recensés au niveau de Saint-Louis.

Donc cela nous touche vraiment et on doit agir. Il est urgent !

Nous avons parlé de la présence des ordures qui ne défigurent pas seulement Dakar mais toutes les régions du Sénégal. Qu’est ce qui explique cette facilité que les citoyens ont de vivre avec les ordures ? Qu’est ce qui explique que nous ayons accepté de vivre avec ?

Je pense que s’ils avaient le choix, ils ne vivraient pas avec les déchets. Mais nous vivons dans une société de consommation et les gens ont tendance à consommer davantage. Quand on parle de consommation, on parle nécessairement de production de déchets.

C’est normal de consommer et de produire des déchets. Ce qui devrait être l’alternative, c’est d’avoir des systèmes de gestion efficace de ces déchets. C’est cela qui n’a pas suivi.

Si nous prenons la chaîne de valeur des déchets de la collecte au transport, en passant par la valorisation des déchets, tout ce système est défaillant. Il y a certains quartiers où les camions de l’UCG (Unité de Coordination de la Gestion des déchets solides) n’arrivent pas à collecter convenablement les déchets.

Justement, l’UCG a fait un très bon travail ces dernières années. Mais il y a des limites de l’action étatique dans le domaine de la collecte et de la valorisation des déchets. Malgré les actions de l’UCG qui sont à saluer, nous sommes toujours dans le système classique de collecte des déchets. Est-ce que ça veut dire que nous n’avons pas encore pensé à des systèmes alternatifs qui peuvent suppléer l’action de l’État dans la collecte et la valorisation des déchets ou ils existent mais ne fonctionnent pas ?

Je pense qu’ils existent, mais ce n’est pas très efficace parce que ce sont juste les récupérateurs d’ordures qui sont dans ce système alternatif. Ils sont au niveau de la décharge et vont au niveau des quartiers pour récupérer directement certains types de déchets. Mais tout cela est très infime par rapport à la quantité de déchets qui est produite.

Tout cela pour vous dire que même si des alternatives existent, elles sont très loin de faire le compte par rapport à la quantité de déchets qui sont produits dans le pays

En termes d’alternatives, il y a aussi des unités de recyclage comme Recuplast qui sont au niveau du Sénégal et qui travaillent sur les déchets plastiques.

Sur 200 000 tonnes de déchets plastiques qui sont produits par an au Sénégal, seuls 9 000 tonnes arrivent à être recyclés. Donc c’est moins de 4%. C’est très infime par rapport à toute cette quantité de déchets plastiques qui sont produits au niveau du Sénégal.

Tout cela pour vous dire que même si des alternatives existent, elles sont très loin de faire le compte par rapport à la quantité de déchets qui sont produits dans le pays.

Vous le disiez tantôt : la transformation de la ville, les nouveaux modes de consommation entraînent des attitudes nouvelles et ça doit aussi entraîner des comportements nouveaux, et à ce niveau il y a un travail à faire

Je dois ajouter la responsabilité des populations dans la gestion des déchets. On met en place des bacs ou des poubelles au niveau de certains trottoirs, mais les populations ne jettent pas les déchets au niveau de ces poubelles-là. Cela engage la responsabilité des populations par rapport à leur comportement.

Vous le disiez tantôt : la transformation de la ville, les nouveaux modes de consommation entraînent des attitudes nouvelles et ça doit aussi entraîner des comportements nouveaux, et à ce niveau il y a un travail à faire.

Il y a un vrai travail à faire, de responsabilisation, de citoyenneté, pour trouver des alternatives ou limiter la production des déchets à l’échelle des quartiers et des communautés.

Tous ces déchets-là, qui ne sont pas recyclés, qui ne sont pas valorisés, c’est un marché qui peut être exploité. A un instant où on parle beaucoup du chômage chez les jeunes, n’y a-t-il pas des efforts à faire pour que ces jeunes puissent se saisir du potentiel qu’il y a dans ce secteur ?

Exactement, vous avez tout à fait raison. Si nous parlons de ces types de déchets, cela renvoie à l’économie circulaire et à l’économie verte qui peuvent être des sources de génération d’emplois, surtout pour les jeunes sénégalais. Il faut que l’État puisse davantage travailler dans ce sens en valorisant les déchets à travers les emplois qui vont être créés. Le Projet de promotion de la gestion intégrée et de l’économie des déchets solides (PROMOGED) travaille dans ce sens. Ce sont des programmes à magnifier et à encourager. Nous espérons qu’il y en aura d’autres pour prendre en charge tous ces déchets et en même temps juguler la problématique de l’emploi des jeunes.

Quels autres programmes ? Si vous étiez la présidente du Sénégal, quels seraient les premiers projets environnementaux à mener ?

Je serais très ambitieuse. Il faudrait quand même que la nouvelle génération soit davantage consciente. Pour moi, l’ancienne génération, celle de nos parents, nos oncles, c’est une génération assez dépassée pour prendre en charge ces questions environnementales. Donc il faut l’éducation environnementale. Je veillerai à ce que l’environnement soit inscrit dans le cursus scolaire au niveau élémentaire, pour que les jeunes puissent avoir cette conscience environnementale.

C’est à partir de là que nous allons construire une nouvelle génération qui sera consciente et qui sera apte à prendre des décisions dans le futur pour une meilleure gestion et protection de l’environnement.

Au-delà de l’éducation, il faudrait vraiment travailler sur les comportements mais également mettre en place des infrastructures de gestion efficace des déchets.

Je veillerai à ce que l’environnement soit inscrit dans le cursus scolaire au niveau élémentaire, pour que les jeunes puissent avoir cette conscience environnementale

L’autre aspect, c’est par rapport aux transports. Il faut régler la gestion des transports au niveau de Dakar, donc avoir des alternatives de transport plus durables.

Ce sont des alternatives que nous pouvons développer pour réduire la pollution de l’air au niveau du Sénégal.

L’autre aspect qui me semble aussi important, c’est l’accès à l’énergie propre qu’il faut développer. Tout ce qui est en rapport avec les énergies renouvelables pour un accès à l’énergie propre pour tous les citoyens du Sénégal, pas seulement à Dakar. Je pense que l’énergie renouvelable constitue une solution pour permettre à ces populations d’accéder à l’énergie.

 


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Fatma Touré Sylla

Fatma Sylla est aménagiste spécialisée en développement local et gestion urbaine. Formée à l’école Supérieure d’Économie Appliquée de Dakar, elle acquière une expérience de terrain et une pratique du développement local au sein des structures telles que l’ONG EVE (Eau Vie Environnement) et l’ISRA/ BAME.
En 2015, elle est coordonnatrice départementale de Bambey (Sénégal) à l’Agence d’assistance à la sécurité de proximité pendant plus d’un an. Titulaire d’un master en Aménagement du Territoire, Décentralisation et Développement Local au département géographie de l’UCAD en 2016, elle rejoint l’Institut Africain de Gestion Urbaine en tant qu’assistante de recherche sur des projets environnementaux, notamment la gestion des déchets, l’agriculture urbaine et la sécurité urbaine. Elle rejoint la Fondation Heinrich Böll en 2019, dont les thématiques d’intervention, écologie et développement urbain durable notamment en lien avec les problématiques urbaines et la résilience des territoires, correspondent aux sujets sur lesquels elle compte faire de la recherche.

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