Auteurs : El Hadj Faye, Patrick d’Aquino, Alpha Ba, Jérémy Bourgoin et Djibril Diop
Type de publication : Article
Date de publication : 2020
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Les menaces sur le commun
La première concerne la tendance à la privatisation des ressources, qui fragilise les modes d’utilisation et de gestion de ces ressources. Ces dernières années, les gouvernements successifs ont facilité beaucoup de transactions foncières portant sur de vastes superficies de terres au profit d’investisseurs, souvent étrangers. Cette orientation est particulièrement visible au niveau du processus de la réforme foncière où les principales propositions qui ont été formulées depuis plus de vingt ans, avant la montée en puissance des revendications supra en 2015, vont dans le sens de la suppression du patrimoine foncier commun, à travers une généralisation de titres privés individuels ouvrant la voie à un marché foncier préjudiciable aux communautés de base. La conséquence la plus redoutée de la privatisation des terres du domaine national est celle qui consiste à priver d’accès à la terre les populations démunies. C’est cette tendance à la privatisation qui a été à la base de l’exclusion du système inclusif qui constituent les associations des usagers des forages ruraux (ASUFOR) de la gestion de l’eau en milieu rural avec la création de l’Office des forages (OFOR) qui prône l’instauration du système de gestion privée des forages, sur la base d’appels d’offres.
La seconde menace réside dans la puissance de la conception dominante de la question foncière, pour laquelle il est difficile de comprendre, puis d’accepter, une vision de la relation à la terre si différente, sans droits « réels ». Cette conception dominante est fortement ancrée chez beaucoup d’acteurs, de l’expert au décideur politique, et il est difficile de leur faire comprendre une vision différente.
Maintien, renforcement, disparition du commun
Même si la volonté politique pour aller vers la mise en place de cadres de gestion communautaire a toujours fait défaut dans le pays, en termes notamment d’autonomisation réelle et complète des acteurs locaux, le Sénégal dispose encore sous certains aspects d’un cadre législatif et réglementaire favorable à l’émergence et à la consolidation de communs en matière de ressources naturelles. Il existe des modes de gouvernance qui ont prévalu dans le passé au niveau des communautés locales, dont certains aspects ont été conservés par les lois nationales post-indépendance et favorables à l’émergence de communs, et qui pourtant sont en passe d’être remis en cause avec les dynamiques et options notées au niveau central avec une volonté manifeste de favoriser l’installation des agro-industries.
Ces dernières années, les gouvernements successifs ont facilité beaucoup de transactions foncières portant sur de vastes superficies de terres au profit d’investisseurs, souvent étrangers
Depuis l’indépendance, les lois foncières stipulent que les terres appartiennent à la nation, mais sont détenues par l’Etat qui laisse les populations locales y exercer leurs activités tant qu’un besoin public n’est pas déclaré. Pratiquement, cela revient à laisser en place les droits fonciers locaux qui permettent, en dépit de certains formes de marginalisation de certaines catégories sociales, les meilleurs mécanismes pour promouvoir une équité foncière en milieu rural au Sénégal. De plus, les droits d’exercer sur les terres sont souvent des droits collectifs. Le maintien de cet esprit communautaire, avec une meilleure reconnaissance de l’agriculture familiale et du pastoralisme, d’appuie sur des formes d’usages forgées par les Sahéliens au cours des siècles. Plus complexes que la propriété privée, ils permettent d’une part à de nombreux usagers de coexister sur la même terre et, d’autre part, de s’adapter plus efficacement à l’extrême variabilité climatique que la simple propriété privée.
D’ailleurs, les propositions des organisations de la société civile sénégalaise insistent fortement pour que la réforme foncière et les processus législatifs en cours aillent dans le sens du renforcement de cette dynamique, et non pour leur remise en cause. L’enjeu est de sécuriser les possibilités d’émergence et d’exercice de communs à travers des lois nationales qui reconnaissent expressément les communs et posent les conditions allant dans le sens de leur mise en œuvre.
Au niveau de la gouvernance, il serait impératif de maintenir les pouvoirs de la collectivité locale dans la gestion des terroirs, mais avec l’aménagement d’un véritable pouvoir de contrôle citoyen des communautés afin de pallier aux manquements notés dans la mise en œuvre de la loi sur la loi sur le domaine national. Cette loi, bien que prônant une gouvernance des ressources basée sur les communs, n’a pas aménagé de mécanismes de contrôle citoyen pour suivre les actions collectives locales dans sa mise en œuvre. Concernant la gouvernance des ressources, il faudrait donc institutionaliser une gestion au niveau des villages à partir des comités villageois partenaires regroupant l’essentiel des catégories d’acteurs. Les villages constituent pour les populations des références incontournables dans les pratiques de gouvernance foncière au niveau local. En effet, avec les communautés rurales, les villageois ont toujours été au centre des processus de gouvernance foncière, même si le cadre juridique limitait leur place.
Fort de ces constats, nous pouvons avancer que l’accompagnement de dynamiques pour le maintien des communs au Sénégal nécessite en premier lieu une sécurisation des processus de réforme en cours pour garantir des modes de gouvernance reconnaissant effectivement le statut de commun des ressources d’accompagnement nécessaires, notamment le renforcement des capacités techniques et organisationnelles des communautés locales en matière de gestion des activités collectives pour leur permettre de se réapproprier la gouvernance de leur ressource.
Au niveau de la gouvernance, il serait impératif de maintenir les pouvoirs de la collectivité locale dans la gestion des terroirs, mais avec l’aménagement d’un véritable pouvoir de contrôle citoyen des communautés afin de pallier aux manquements notés dans la mise en œuvre de la loi sur la loi sur le domaine national
Les dynamiques actuelles en cours avec différents acteurs du monde de la recherche et du développement au Sénégal constituent des opportunités pour renforcer les communs. À travers les collaborations entre acteurs du développement, chercheurs et ONG, notamment à travers l’expérience de l’initiative GITES (Gouvernance intégrée des territoires en zones sèches) au niveau de la vallées et de la zone du Lac de Guiers, il existe des possibilités de produire des connaissances et d’identifier des mécanismes d’accompagnement pour le maintien et l’émergence des communs au Sénégal. Il y a fort intérêt à renforcer les collectivités territoriales dans le cadre de la décentralisation et d’apporter des éléments en faveur d’un renforcement de capacités basés sur une meilleure mise à disposition de la connaissance. En ce sens, le Réseau des villes vertes et écologistes du Sénégal (REVES), créé en fin d’année 2016 avec l’appui de Enda Pronat dans l’optique de renforcer le plaidoyer en faveur de la transformation sociale et écologique des territoires, pourrait être un bon partenaire.