Les contrats extractifs au Sénégal, OXFAM, 2021

Auteur : Thaddée Adiouma SECK

Type de publication : Livret

Date de publication : 2021


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La notion de contrat extractif

Il faut noter que la loi sénégalaise n’a pas déterminé de façon précise et unifiée les critères de définition d’un contrat extractif. Mais selon les acteurs et notamment la doctrine, il existe plusieurs approches pour définir le contrat extractif. Il y a l’approche extensive qui voudrait que tout accord intervenu dans le cadre d’un projet extractif soit en théorie un contrat extractif.

Une telle approche pose un problème en ce qu’elle pourrait conduire à intégrer dans le périmètre du contrat extractif des accords qui en sont détachables. Exemple : le contrat de transport du minerai du carreau de mine au point d’exportation. Une telle définition trop ouverte donnerait lieu à des abus en soumettant au régime dérogatoire minier des accords qui pourrait en être détachables.

C’est cette approche qui semble être retenue par l’ITIE dans son élan de transparence visant largement la documentation contractuelle mise en œuvre dans les opérations d’exploitation minière. La norme ITIE 2019 définit le contrat minier d’après une approche formelle similaire en le révélant comme « le texte intégral de tout contrat, licence, concession, accord de partage de production ou autre accord conclu par ou avec le gouvernement et fixant les conditions d’exploitation de ressources pétrolières, gazières et minières ».

Elle y ajoute tout texte intégral de tout addenda, annexe ou avenant fixant les détails relatifs aux droits d’exploitation minière ou à leur exécution ainsi que tout texte intégral de toute modification ou de tout amendement des documents précités. Selon l’approche restrictive, le contrat extractif s’entend de l’accord entre un État et/ou une entité sous le contrôle de ce dernier et une autre entité dont l’objet est la prospection, la recherche et l’exploitation des ressources extractives. Elle limiterait ainsi la définition du contrat extractif aux rapports entre l’Etat et les opérateurs ; ce qui exclurait la multitude de contrats signés entre les opérateurs eux-mêmes et qui ont des influences majeures sur les opérations.

La formation des contrats extractifs au Sénégal

Les contrats extractifs sont conclus à la suite d’une longue procédure de négociation ponctuée généralement par la signature des accords préparatoires (Accord de principe; Protocole d’accords; Contrats de négociation; etc.), des consultations incluant notamment le Ministère en charge des Finances et le Ministère chargé de l’Environnement ainsi que l’obtention d’un titre de recherche ou d’exploitation minière/pétrolière délivré par l’État. Ces contrats ou convention sont généralement négociés sur la base de contrats types élaborés par l’État.

De fait, il y a généralement une offre spontanée (demande volontaire de titre minier par une entreprise minière/pétrolière) qui fera l’objet d’une consultation directe ou un appel d’offres initié par l’Etat formulé pour les blocs pétroliers disponibles pour des activités de recherche ou de production ou dans les zones minières dites promotionnelles notamment.

Les contrats extractifs sont signés par le Ministre en charge des mines ou celui en charge du pétrole selon les cas et peuvent par la suite, selon les législations applicables, faire l’objet d’une approbation par voie parlementaire. Ils sont de plus en plus publiés au Journal officiel, sur le site du ministère en charge des mines/pétrole ou encore sur le site de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE).

Malgré les spécificités de leurs procédures de formation, les contrats extractifs demeurent soumis aux conditions générales de validité prévues pour tous les contrats par le Code des Obligations Civiles et Commerciales (COCC) au Sénégal à savoir l’existence d’(1)un consentement non vicié des parties contractantes, (2) la capacité de contracter, (3) un objet déterminé et licite, formant la matière du contrat et des obligations et (4) une cause licite pour le contrat et les obligations qui en résultent.

Le consentement non vicié de conclure le contrat extractif se matérialise par la volonté de l’État de négocier et de signer ce contrat en connaissance de cause sans faire l’objet d’une tromperie par l’investisseur (en délivrant des fausses informations sur ses capacités techniques et financières par exemple) ni d’aucune forme de violence ou de pression de sa part.

La capacité de contracter se manifeste notamment du côté de l’État par le pouvoir accordé au Ministre en charge du pétrole ou des mines de négocier et de signer le contrat au nom de l’État. Un objet déterminé et licite correspond à l’opération de réaliser des opérations extractives qui est de fait conforme au droit sénégalais tandis qu’une cause licite correspond à l’objectif poursuivi par les parties contractantes en l’occurrence la mise en valeur d’un gisement minier/pétrolier et la volonté d’en tirer des profits.

Les types de contrats extractifs au Sénégal

Il convient d’analyser successivement les spécificités de chaque contrat extractif à savoir les contrats pétroliers et contrats miniers.

Les contrats pétroliers au Sénégal :

Aux termes de l’article 2 du nouveau code pétrolier, le contrat «prend obligatoirement la forme d’un contrat de partage de production ou d’un contrat de services». Cette disposition réduit donc les contrats pétroliers au Sénégal à ces deux formes.

Les contrats de services 

Il est défini par le même code comme «un accord de volonté conclu entre l’Etat, via la société pétrolière nationale à qui est délivrée des titres miniers d’hydrocarbures nécessaires aux opérations pétrolières, et le contractant par lequel le contractant s’engage à réaliser au nom ou pour le compte de l’Etat, des activités d’exploration et/ou d’exploitation, à ses risques et frais financiers et techniques exclusifs et, en cas de découverte d’un gisement commercial, reçoit à titre de rémunération un montant déterminé ou déterminable payable en numéraire ou en nature». ( Article 2 code pétrolier 2019) Il s’agit en d’autres termes d’un contrat par lequel l’opérateur réalise des opérations pétrolières, souvent à ses risques et périls et qui, en cas de réussite reçoit une rémunération déterminée.

Les contrats de partage de production

Il convient de noter qu’historiquement « ils ont été créés par le gouvernement indonésien en s’inspirant des contrats agricoles locaux de sharecropping, c’est-à-dire de métayage agricole par lesquels un paysan pauvre donne sa terre à exploiter à un paysan sans terre contre un partage de la production » . En droit sénégalais, le contrat de partage de production est un contrat à risques aux termes duquel, l’Etat ou une société d’Etat confie à un contractant l’exercice des droits exclusifs de recherche et d’exploitation d’hydrocarbures à l’intérieur d’un périmètre défini.Celui-ci reçoit en rémunération une partie de la production issue du gisement commercial (article 3 du Code pétrolier).

Le contenus des contrats extractifs au Sénégal

Pendant longtemps, il était difficile de classifier et de décortiquer le contenu des contrats extractifs en raison notamment de la confidentialité de ces conventions et des procédures de règlement de différends y relatives (notamment l’arbitrage). Ces deux obstacles sont de plus en plus levés avec l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) et la publication des certaines sentences arbitrales relatives aux contrats extractifs.

Les clauses relatives aux parties au contrat

Ces clauses définissent les rapports de pouvoir entre les parties au contrat. Dans cette catégorie, on peut distinguer les clauses corporates des clauses de prise de décision. Les clauses corporates déterminent le cadre organisationnel qui permet une exploitation sereine des ressources.

Dans ces clauses, les parties décident du recours, entre autres, à une Joint-Venture (JV) ou Joint Operating Agreement (JOA) ou encore à un comité d’opération. Ces modèles organisationnels constituent des cadres de concertation où les parties au contrat auront à gérer quotidiennement les opérations pétrolières ou minières. Ainsi, en matière pétrolière, les clauses corporates ne figurent pas toujours dans le corps du contrat de partage de production. Ces clauses peuvent être reprises en annexe dans le contrat d’association pris en application du CPP.

En matière minière, les conventions ne prévoient pas des clauses corporate particulières en phase de recherche minière. Cette dernière est réalisée largement sous le contrôle de l’entreprise minière qui rend toutefois compte à l’État en vertu des obligations d’information qui pèseraient sur elle. Il est prévu seulement dans les conventions minières la création d’une société minière au moment de l’exploitation dont le capital inclut des participations de l’État et de l’entreprise minière. Cette société se substituera aux droits et obligations de l’entreprise minière opérant dans la phase de recherche.

Dès lors, c’est dans les statuts de la société minière d’exploitation minière et dans le cadre de la conven tion minière entre l’État et l’entreprise minière amen dée que sont généralement définis les cadres de concertation entre les parties. Quant aux clauses de prise de décision, elles déter minent le processus de prise de décision au sein du cadre de dialogue choisi par les parties prenantes. Elles permettent ainsi à l’opérateur de mettre en œuvre concrètement les opérations industrielles et financières définies dans le programme de travail.

En matière minière, les données ne sont pas toujours disponibles relativement aux statuts et/aux pactes d’actionnaires qui organisent les mécanismes de prise de décision dans les sociétés minières. Toutefois, il conviendrait de constater que de tels mécanismes sont fondamentalement assis sur la quote-part de chacune des parties dans le capital de la société minière étant précisé que l’État est souvent cantonné à 10 % correspondant à la participation initiale gratuite qui lui est accordée en vertu du contrat minier. Les contrats de partage de production prévus par le Code minier de 2016 devraient toutefois permettre de définir des nouvelles bases conventionnelles de participation dans les activités minières et corrélativement de nouvelles modalités de prise de décision.

Les clauses régissant l’équilibre économique du contrat.

Elles renvoient aux différentes clauses qui déterminent l’équilibre économique du contrat et les obligations essentielles des parties. On retrouve dans cette partie les clauses d’objet, les droits concédés par l’Etat, le programme de travail, les clauses de compensation économique, les clauses d’impôts, les clauses de partage des coûts et des profits qui, avec les obligations industrielles, permettent de déterminer l’équilibre économique du contrat. Cette partie est la première qui généralement intéresse les acteurs.

Elle permet d’apprécier le pouvoir de négociation de l’Etat hôte et, in fine, les revenus que l’Etat et les communautés sont susceptibles d’attendre de ce projet. A ce niveau, il n’y a pas de différence fondamentale dans la structuration de droits et obligations des parties dans les contrats miniers et les contrats pétroliers. La différence qui pourrait exister est souvent dans le type de contrat choisi par les parties avec quelques variations près concernant un même type contractuel que l’on soit en matière minière ou en matière pétrolière.

En matière minière, il n’existe pas de règles exhaustives d’origine légale organisant le contrat de partage de production au Sénégal. Aussi, en raison de la récente consécration de ce type de contrat par le Code minier (2016), il n’existe pas d’informations disponibles sur l’utilisation de ce type de contrats pouvant faire l’objet d’une synthèse de la pratique contractuelle moins encore de contrat de partage de production type en la matière.

En ce qui concerne les conventions minières généralement utilisées par l’État sénégalais et conçues sur le modèle du contrat de concession, les droits et obligations des parties sont construits principalement sur la base de la mise à disposition par l’État du titre minier et l’octroi des facilités administratives moyennant le paiement des taxes fiscales, des droits financiers attachés aux titres miniers, de la contribution de l’entreprise minière au développement local et de l’octroi d’une participation initiale gratuite de l’État au taux de 10% dans le capital de la société d’exploitation minière. Ainsi, le contrat de concession s’apparente davantage à un contrat de vente alors que le contrat de partage de production peut être analysé comme un contrat de services.

Les clauses d’usage.

Elles sont généralement constituées des clauses qui déterminent les mécanismes de résolution des litiges, de choix de droit applicable, des clauses de stabilisation, ou encore les clauses de force majeure.Ces clauses restent fondamentalement les mêmes dans les contrats extractifs signés au Sénégal. Les clauses de droit applicables prévoient généralement le droit sénégalais comme droit applicable au contrat.

Aussi, il n’est pas exclu que les parties aient recours ponctuellement dans les contrats extractifs aux meilleures pratiques de l’industrie extractive s’agissant des modalités de mise en œuvre de certaines obligations contractuelles. Les clauses de droit applicable sont généralement suivies des clauses de stabilisation. Ces dernières visent à figer le droit applicable au moment de la conclusion du contrat extractif pendant toute la durée de validité de celui-ci.

La pratique a démontré que l’État ne respecte pas toujours ces clauses en édictant de nouvelles règles applicables aux entreprises extractives. Il en découle généralement un différend qui est tranché soit devant les tribunaux juridictionnels, soit de manière amiable. Les clauses de règlement de différends dans les contrats extractifs prévoient principalement le recours à l’arbitrage international précédé d’une procédure de règlement amiable préalable suivie parfois d’une procédure d’expertise.

Entre l’échec de la procédure amiable et le déclenchement de la procédure arbitrale, les parties peuvent choisir de soumettre leurs différends à un expert qui les aidera à régler leur différend. En matière minière, la convention minière liant Sabodola Gold Operation a l’État du Sénégal précité prévoit le recours à l’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale tout en maintenant l’étape de règlement préalable de trois (3) mois.