Les jeunes préfèrent mourir dans le désert plutôt que de demander de l’emploi à leurs maires

Les jeunes préfèrent mourir dans le désert plutôt que de demander de l’emploi à leurs maires

Mohamadou Fadel Diop

L’État vend du rêve : c’est le sentiment que plusieurs jeunes ont malgré les nombreuses déclarations du président Macky Sall, des ministères, des bailleurs de fonds et leurs partenaires. L’emploi, celui des jeunes en particulier, est devenu une préoccupation centrale des politiques publiques depuis les soulèvements de mars 2021.

Des appels à candidature ont été ouverts pour accéder à des milliers de postes dans la fonction publique, des conventions État-employeurs vont être signés pour augmenter le nombre de recrutements dans les entreprises, des fonds inédits seront disponibles pour financer l’entrepreneuriat, mais cela ne semble pas être assez.

La Délégation générale à l’entreprenariat rapide (DER), l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi des jeunes (ANPEJ), le Fonds de garantie des investissements prioritaires (FONGIP) vont ouvrir des antennes régionales pour être plus proches de toutes les communautés du Sénégal, en particulier celles en dehors de Dakar la capitale.

Leur rôle est de valoriser les potentialités des différentes régions en soutenant des projets d’entrepreneuriat dans les secteurs porteurs de l’économie locale. Il ne faut pas se tromper, les régions ne vont pas accueillir des « sauveurs » qui vont permettre à la majorité de la population au chômage d’avoir des revenus durables.

La DER, l’ANPEJ, le FONGIP auront un rôle déterminant à jouer dans l’écosystème qui va développer la création de richesse dans les territoires grâce à leur pouvoir de financement et d’incubation de projets. Mais si l’objectif ultime est de dérouler une politique économique qui permette à chaque communauté de créer les emplois dont elle a besoin selon ses particularités, dans quelle mesure le succès de cette entreprise est garanti sans l’écoute et l’implication des collectivités locales ?

Le rôle des chefs d’exécutif local est essentiel. Les maires peuvent libérer le potentiel économique des régions si la nouvelle politique de territorialisation de l’emploi les accompagne à assumer ce leadership.

Faire confiance au leadership des collectivités locales

WATHI et la Fondation Konrad Adenauer ont invité les maires de Méckhé et de Sandiara à une table ronde afin de discuter du potentiel des collectivités locales sénégalaises dans la mise en œuvre des politiques d’emploi. Leurs communes se sont distinguées dans la création d’emplois au niveau local en structurant l’économie autour de l’artisanat, de l’agro-business et de l’industrialisation.

A Méckhé, petite commune située au milieu de l’axe routier Dakar-Saint Louis, le maire Magatte Wade ne se suffit pas de la place de première ville artisanale du Sénégal. « Nous avons l’ambition d’être un carrefour mondial et de mettre sur place un cluster de l’artisanat dans cette zone », dit-il. « La solution n’est pas de créer des emplois en masse car il est facile de bourrer les entreprises de personnes et d’avoir une surpopulation d’employés.

Pour le cas de l’artisanat, l’État doit prendre des décisions fortes en bannissant l’importation des peaux, en promouvant l’élevage qui permet le ravitaillement en peaux, et en permettant l’érection de petites entreprises spécialisées dans la fabrication des produits intermédiaires de l’industrie du cuir, comme les boucles, la colle, la peinture, les pointes, les colorants.

Le défi est de structurer l’économie autour de chaines de valeur. Pour le cas de l’artisanat, l’État doit prendre des décisions fortes en bannissant l’importation des peaux, en promouvant l’élevage qui permet le ravitaillement en peaux, et en permettant l’érection de petites entreprises spécialisées dans la fabrication des produits intermédiaires de l’industrie du cuir, comme les boucles, la colle, la peinture, les pointes, les colorants. »

L’artisanat est le secteur le plus pourvoyeur d’emplois dans la stratégie de relance économique élaborée par l’État. La politique de territorialisation de l’emploi est une occasion d’accompagner les nombreux efforts qui ont été fournis par la commune dans ce secteur afin de faire de Méckhé un hub industriel.

Ce développement industriel passe par le développement du secteur privé dont l’épanouissement peut être grandement facilité par les autorités publiques locales. « En faisant la monagraphie de l’artisanat, nous avons recensé plus de 850 potentiels chef(fe)s d’entreprise à Ngaye Méckhé», nous dit Magatte Wade.

Les territoires ne manquent pas d’initiatives au niveau des élus locaux comme au niveau des citoyens pour créer des emplois. Ce dont ils manquent, c’est que les 552 communes et les 45 départements du Sénégal puissent se nourrir des différentes expériences capitalisées afin d’assumer un leadership fort dans l’élaboration des politiques économiques locales.

Nous pouvons créer des sociétés où les jeunes soumettent leurs problèmes aux maires qu’ils ont élus au lieu de se sacrifier en mer ou dans le désert. C’est le rôle que la loi leur a assigné avec la mise en place de plusieurs instruments tels que l’acte 3 de la décentralisation, le programme d’aménagement des territoires, plusieurs institutions stratégiques telles que l’Organisme national de coordination des activités de vacances (ONCAV). C’est aussi l’attente du citoyen qui va aux urnes à l’heure des élections locales comme nous le ferons le 23 janvier prochain.

Les collectivités locales qui ont une grande indépendance économique peuvent devenir des « mastodontes » financiers qui prennent la responsabilité de créer des emplois sur leurs territoires comme cela se fait ailleurs, en Allemagne par exemple, où les territoires sont les berceaux de l’industrialisation et de la croissance du pays. Par ailleurs, elles peuvent davantage prendre en charge les compétences principales qui leur ont été transférées par la loi. Ce qui revient à répondre à des besoins sociaux tels que l’éducation ou la santé.

Beaucoup de maires ne le savent pas mais, avec l’acte 3 de la décentralisation, les communes peuvent participer jusqu’à hauteur de 33% dans des entreprises. Il est possible de faire expertiser son terrain pour créer une école ou une société et être actionnaire dans ces sociétés.

« C’est l’approche que nous avons suivie » a indiqué Serigne Guèye Diop, maire de la commune de Sandiara, durant la table ronde sur la territorialisation des politiques d’emploi. Le montant des investissements tourne autour de 42 milliards de FCFA dans cette jeune commune qui accueille 33 usines et va bientôt abriter une cité financière aux standards internationaux.

« Beaucoup de maires ne le savent pas mais, avec l’acte 3 de la décentralisation, les communes peuvent participer jusqu’à hauteur de 33% dans des entreprises. Il est possible de faire expertiser son terrain pour créer une école ou une société et être actionnaire dans ces sociétés. La mairie peut faire des apports à la banque, obtenir des prêts et construire des infrastructures », soutient le maire.

Former, déléguer pour plus de performance et de redevabilité

La décentralisation des politiques publiques n’est pas une option. C’est ce que l’État doit faire au vu de ses déclarations d’intention et des avantages de cette approche dans la poursuite d’une justice économique et sociale. Mais le fait est que les organes de l’État central restent réticents à laisser des marges de manœuvre réelles aux acteurs locaux. Avec 5% du budget national répartis dans les 552 communes du pays, les collectivités locales sénégalaises ont peu de moyens pour impulser le développement socio-économique de leurs territoires.

Les métiers du développement territorial ne sont pas des métiers politiques. Ce sont des métiers qu’il faut apprendre. L’économie territoriale est un métier qui permet de savoir comment capter de la richesse.

La décentralisation est davantage une réalité dans les domaines politique et social que dans sa dimension économique. Les mairies sont des centres de bienfaisance sociale avant d’être des moteurs de développement économique. Pour expliquer cette atteinte au principe de subsidiarité, on rappelle souvent le manque de compétences de la majorité des maires dans plusieurs domaines essentiels de la gestion publique.

Selon Oumar Wade, Coordonnateur du Groupe – Initiative pour une nouvelle économie territoriale en Afrique (GiNET), « c’est justement la raison pour laquelle il faut les former. Les métiers du développement territorial ne sont pas des métiers politiques. Ce sont des métiers qu’il faut apprendre.

L’économie territoriale est un métier qui permet de savoir comment capter de la richesse. » En orientant le rôle des maires vers ces fonctions sous-estimées, les élus locaux peuvent alors prendre la responsabilité de créer l’environnement pour augmenter la croissance locale et générer des puissances économiques dans les territoires.

Malgré leur potentiel et leur volonté ferme de servir leurs familles, leur entourage et leur nation, beaucoup de jeunes ont le sentiment que leur pays ne croit pas en eux. Les hommes politiques semblent éloignés des préoccupations de la jeunesse de manière générale. Leurs limites se reflètent dans la faible capacité des populations à créer pour eux-mêmes des emplois dans lesquels ils s’épanouissent, qui font sens pour leurs communautés, et qui s’inscrivent dans la marche du monde.

Cela a provoqué une cassure entre les professionnels de la politique et les citoyens. Une crise de confiance qui ne cesse d’éloigner les uns des autres, se nourrissant de la persistante incapacité à développer des politiques publiques qui répondent aux besoins du plus grand nombre.

Avec les violents symptômes de mécontentement populaire qui se sont manifestés récemment, les prochaines élections devraient être des moments d’engagement politique et social forts pour réduire le désespoir qui grandit dans ce pays.

C’est pour cela qu’en dépit des objectifs ambitieux avec la politique de territorialisation de l’emploi, les regards sont circonspects. Il doit y avoir quelque chose de plus que les déclarations d’intention et les actes de bonne volonté. Ces tours de passe-passe politique feront floraison durant toute la campagne qui a commencé en vue des élections locales, sans se soucier qu’il est épuisant qu’à chaque élection, les sujets cruciaux de l’heure soient instrumentalisés pour gagner des voix puis, souvent, jetés aux oubliettes.

Avec les violents symptômes de mécontentement populaire qui se sont manifestés récemment, les prochaines élections devraient être des moments d’engagement politique et social forts pour réduire le désespoir qui grandit dans ce pays. En écoutant et en accompagnant les citoyens, les politiciens peuvent découvrir et mettre en œuvre ensemble les solutions pour faire du chômage et de la pauvreté extrême de vieux démons.

De leur côté, les jeunes et les femmes peuvent décider qu’ils ne se contenteront plus d’être des instruments de conquête du pouvoir. C’est un choix. Ils peuvent exiger que les candidats à leurs municipalités présentent les priorités de leurs programmes afin d’avoir plus de lisibilité sur la qualité des propositions politiques. Ils peuvent discuter, proposer et compléter les propositions des candidats qui n’identifient pas les bons leviers pour dynamiser l’économie de leur territoire.

A la veille des élections locales, plus que jamais, ils peuvent orienter le regard que leurs futurs dirigeants ont sur leurs localités mais aussi mettre en place des mécanismes de redevabilité pour suivre l’exécution des programmes proposés pour servir leurs intérêts. Après tout, si les politiques d’emploi doivent reposer sur le potentiel des collectivités locales dans l’avenir, la prise d’initiatives de la part des citoyens est indispensable.

 


Credit photo: Paris Match

 

 

Mohamadou Fadel Diop

Mohamadou Fadel Diop est chargé de recherche à WATHI intéressé par les questions de gouvernance, de participation citoyenne et d’intégration régionale. Avec une expérience dans le conseil en stratégie, il est lauréat de la Dalberg Talent Academy et a occupé le rôle de champion de plaidoyer pour The ONE Campaign en Afrique de l’Ouest. Mohamadou Fadel Diop est diplômé de l’Université Panafricaine créée par l’Union Africaine.

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