Gilbert Kanté
Depuis quelques années, l’introduction des éléments culturels dans les stratégies de développement démontre une prise de conscience acceptant que l’Afrique, en plus de ses ressources naturelles, possède des richesses culturelles dont l’exploitation pourrait contribuer à sortir certaines couches sociales de leur paupérisation endémique. Cependant, force est de constater que le fossé se creuse de jour en jour entre les pays qui ont les moyens de promouvoir les recherches les plus sophistiquées sur leur passé, leurs cultures, leurs langues etc. et les pays qui n’ont pas ces moyens. Au Sénégal, la résolution des besoins primaires (santé publique, sécurité alimentaire, éducation…..) et des problèmes de survie relègue loin à l’arrière ce genre de préoccupations.
Aujourd’hui, dans un contexte de mutations profondes et rapides dues à l’urbanisation, à l’industrialisation et à la globalisation, nos langues et en l’occurrence nos patrimoines culturels subissent des variations et des emprunts importants avec l’ouverture et l’élargissement des moyens de communication. Si certaines langues connaissent une expansion et un regain de dynamisme, plusieurs autres deviennent de plus en plus fragilisées et sont en danger. Et le péril ultime pour la survie d’une langue est son extinction et par conséquent la perte de son patrimoine culturel.
Selon l’UNESCO, « 96% des langues du monde sont parlées par 4% de la population mondiale [et] plus de 50% des langues du monde sont sérieusement en danger et sont susceptibles de disparaître dans 1 à 4 générations…».
Sachant que tout progrès économique s’accompagne nécessairement d’un développement culturel, lutter contre ce déséquilibre et sauvegarder les traditions culturelles constituent un enjeu fondamental
Le Sénégal, comme la plupart des pays africains, est concerné par cette situation. Il y existe une inégale répartition des langues, des ethnies et de leur valorisation patrimoniale. A côté d’ethnies dominantes comme le Wolof ou le Pulaar entre autres, il existe encore beaucoup d’ethnies minoritaires qui ne sont même pas connues par la majorité des Sénégalais. C’est le cas des Bediks, des Baynounks, des Sereers Safi et autres ethnies qui sont de petites minorités vivant dans le Sénégal oriental, en Casamance et dans la falaise de Thiès. Ces communautés ne sont soit pas du tout connues, soit sont confondues respectivement avec les Bassaris ou sont noyées dans les grands ensembles Diola et Sereer.
Sachant que tout progrès économique s’accompagne nécessairement d’un développement culturel, lutter contre ce déséquilibre et sauvegarder les traditions culturelles constituent un enjeu fondamental. C’est dans cette perspective qu’il faut envisager trois objectifs majeurs : (1) encadrer de manière participative ces populations pour la documentation, la sauvegarde, la valorisation et la promotion de leurs cultures, langues et environnement naturel, (2) donner une meilleure visibilité à ces communautés afin de préserver leurs traditions qui doivent être transmises et judicieusement exploitées afin de les rendre touristiquement et économiquement viables, (3) susciter le dialogue, la compréhension de la diversité culturelle comme un élément fondamental pour un retour global à la paix au Sud du Sénégal.
Finistère oust-africain, le Sénégal a bénéficié des nombreux mouvements de populations en provenance de son hinterland. Cette mobilité dans la longue durée est matérialisée par la présence de plusieurs sites préhistoriques, néolithiques, protohistoriques, historiques et de plus d’une trentaine de groupes culturels constituée, entre autres, de Wolof, Sereer, Diola, Halpulaar (Peul et Toucouleur), Mandingues, Soninké, Bassari, Bédik…. Ces différentes vagues de peuplement ont laissé en héritage un riche patrimoine matériel et immatériel représenté par les fêtes culturelles (Maccako ou fête de la récolte, Macaang pour la fin des récoltes, Meréech destinée aux enfants précédant l’initiation et Gamond en pays Bedik, Ësin, Kacinen, Bukut, Kumpo et les quelques 15 fêtes annuelles répertoriées en pays Baynounk et Diola; Khoy et Pangol en pays Sereer ; Kankuran en pays Manding ; Yéla et Lootoori en pays Halpulaar, etc.). Dans des régions telles que le Sénégal Oriental et la Casamance (pays Bedik, Bassari, Baynounk et Diola), en plus de la présence d’une riche biodiversité (mangrove, verdure, montagnes, cascades, etc.), les manifestations culturelles sont encore vivaces et nécessitent une protection.
Crédit photo : Sénégalatuspies
*Cet article a été initialement publié dans le blog de l’auteur. Lien vers l’article original.
Gilbert Kanté
Gilbert Kanté est un entrepreneur originaire de la région de Kédougou. Consultant en marketing digital, il est le directeur de l’innovation et du développement de l’agence Brandupp. Il publie des articles pour promouvoir le patrimoine culturel de la région de Kédougou dans son blog personnel disponible en suivant ce lien.
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