Baba Ndiaye, Président Conseil départemental: « Le combat contre le coronavirus doit être gagné au niveau local »

Les entretiens de WATHI – Les régions du Sénégal – Série Covid-19 – Focus Kaolack

Baba Ndiaye

Baba Ndiaye est le président du Conseil départemental de Kaolack. Il est également le président du Conseil d’administration (PCA) du Centre hospitalier régional El Hadj Ibrahima Niasse (CHREIN) de Kaolack.

Cet entretien fait partie de la série de podcasts de WATHI sur la crise de la Covid-19 dans les régions du Sénégal.

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Extraits

Quelles sont les mesures qui ont été prises à Kaolack pour faire face à la crise du coronavirus?

Conformément aux dispositions et instructions de Monsieur le président de la République au niveau national mais également au niveau central avec le ministère de la Santé, nous avons pris un certain nombre de dispositions tant au point de vue sanitaire, politique et administratif pour faire face à la crise du coronavirus dans la région de Kaolack.

Au niveau politique, conscient de l’urgence, nous avons compris qu’il fallait beaucoup oeuvrer dans la prévention et dans la sensibilisation. C’est la raison pour laquelle, lors de la deuxième semaine du mois de mars, le conseil départemental de Kaolack, en collaboration avec les autorités médicales, l’Organisme départemental de coordination des activités de vacances (ODCAV), mais également le conseil de la jeunesse, a développé une politique  de sensibilisation en utilisant un médium très puissant appelé Al Fayda, situé à Kaolack, et qui est très suivi par les régions du centre, pour faire beaucoup de sensibilisation sur l’axe Gandiaye-Kahone. Cela pour faire en sorte que les populations soient informées des mesures préventives qu’elles devraient prendre.

Nous avons poursuivi cela jusqu’au 14 mars, jour où nous avions une grande finale départementale de football qui est l’un des évènements sportifs les plus populaires au stade Lamine Guèye. La région médicale a également pu jouer un excellent rôle pour la sensibilisation. Cela a été la première étape de notre combat.

Le gouverneur de la région de Kaolack a pris la disposition de fermer le plus grand marché de Kaolack à partir de 14h chaque jour. Le marché central de Kaolack est un marché extrêmement populaire. C’est l’un des plus grands marchés de l’Afrique de l’Ouest. Nous avons également pris des dispositions au niveau sanitaire.

En ma qualité de président du Conseil d’administration (PCA) de l’hôpital régional de Kaolack, je voudrais affirmer que les autorités sanitaires notamment la direction de l’hôpital général de Kaolack, ont pu prendre des dispositions idoines en aménageant au niveau du service des maladies infectieuses de grands espaces pouvant accueillir des personnes qui pourraient être touchées par le coronavirus. Voilà les premières dispositions importantes qui ont été prises pour faire face à la crise au niveau de la région de Kaolack.

Depuis le début de la crise, des mesures de plus en plus restrictives ont été décidées au niveau national et beaucoup se demandent s’il ne faudrait pas aller vers un confinement. Le confinement général est-il possible à Kaolack?

Le confinement est une question extrêmement complexe parce que le Sénégal n’est pas la France, ni l’Italie ni les Etats-Unis. Nous sommes dans un pays où 80% de la population vit des activités du secteur informel. Par conséquent, si les gens devaient être confinés, certaines maisons n’ont même pas les conditions qui leur permettent de conserver les aliments pendant longtemps. Certains vivent au jour le jour en ramenant la dépense journalière du lendemain.

Cela veut dire que si on devait confiner les personnes, il y aura au moins 70% de la population qui risquerait d’avoir des problèmes pour se nourrir. Donc prions pour que nous prenions des dispositions utiles pour que le Sénégal ne puisse pas connaitre le confinement général parce que nos systèmes économiques et nos conditions de vie ne nous permettent pas véritablement d’aller vers cette option.

Tous les moyens de sensibilisation, de prévention, toutes les dispositions doivent être prises autant par les responsables au niveau local, au niveau des quartiers, au niveau des villages, au niveau des organisations communautaires de base (OCB) et associations pour qu’ensemble, nous puissions mener le combat afin de relever le défi de la prévention, de la sensibilisation mais également pour qu’il n’y ait pas de progrès par rapport aux contaminations.

Si les gens devaient être confinés, certaines maisons n’ont même pas les conditions qui leur permettent de conserver les aliments pendant longtemps

En plus de l’aspect sanitaire, le coronavirus a provoqué une crise économique et sociale. Comment cela se manifeste-t-il dans votre région?

Le marché central qui est le plus grand des marchés est fermé à partir de 14h donc beaucoup d’activités vont disparaître. Si nous prenons l’exemple de ceux qui vendent les jus de fruit et le thé dans l’après-midi après 14h et qui travaillent jusqu’à 18h voire 20h le soir ou l’exemple des femmes de ménage qui cuisinent le matin, ces gens ne peuvent plus travailler et donc iront au chômage. Ceux qui faisaient de la restauration au niveau du marché central, étant donné que le marché est fermé à partir de 14h, ils vont également fermer et ne peuvent plus rien vendre.

L’après-midi, avec les mesures d’urgence, tout est fermé à 20h. Les dibiteries et les restaurants ne fonctionnent plus. Au niveau des gares routières, tout est déjà fermé. Les gens y vont toujours mais il n’y a plus d’activités. Du coxeur au chauffeur interurbain, en passant par le chargeur, toutes ces catégories de métier sont aujourd’hui au chômage et ça crée des conséquences économiques extrêmement néfastes que nous sentons, subissons et vivons parce que nous sommes en contact avec ces personnes.

Les conséquences sociales sont incalculables. Souhaitons que nous puissions nous en débarrasser d’ici deux à trois mois au maximum. En effet, il faut voir que la plupart des jeunes qui menaient des activités informelles à Dakar sont retenus dans leurs villages. Ils avaient quitté la capitale au début de l’épidémie pour retourner chez leurs familles à Kaolack. Ils ont utilisé l’épargne qui leur permettait de vivre pendant deux à trois mois mais à la fin de la pandémie, l’activité économique tardera à revenir à la normale.

Les marchés hebdomadaires ne fonctionneront pas, l’économie informelle sera forcément paralysée et impactée par les mesures. Cela veut dire que le patronat aura des difficultés. L’État est entrain de mobiliser des mesures extrêmement importantes pour soutenir l’économie de notre pays. Mais après la pandémie, il nous faudra relancer l’économie sociale et solidaire. C’est extrêmement compliqué et difficile et tout le monde doit s’y mettre pour que nous puissions y arriver. Des mesures idoines d’accompagnement doivent être déjà prévues pour faire face aux difficultés auxquelles les populations pourraient être confrontées.

Si la pandémie se poursuit pour un mois, nous serons au mois de mai. A partir de juin c’est la saison des pluies, il faudra trouver non seulement des conditions d’existence et de survie et il faut créer des conditions de productivité c’est-à-dire être dans les champs, faire des financements, avoir une main d’œuvre abondante, avoir des semences de qualité, avoir des engrais etc.

Tout cela est problématique et nous avons nos grandes fêtes religieuses au Sénégal qui nous coûtent cher. Bientôt c’est le ramadan, par la suite nous allons vers la Tabaski. Quel que soit l’apport que les collectivités territoriales, les collectivités locales pourront apporter, quel que soit l’appui que l’État va apporter, il y aura toujours des difficultés. La preuve, le président de la République l’a clairement compris quand il dit qu’il nous faudra en complément avoir l’intervention des collectivités territoriales.

La plupart des jeunes qui menaient des activités informelles à Dakar sont retenus dans leurs villages. Ils ont utilisé l’épargne qui leur permettait de vivre pendant deux à trois mois

En tout cas, le lendemain de la fin de la pandémie mérite réflexion. L’État, les collectivités locales et territoriales, les entrepreneurs, les hommes d’affaires, les chefs d’entreprise, tous ensemble devront commencer à réfléchir pour prendre des dispositions idoines qui nous permettrons de relancer notre économie.

Certes l’État a mis en place une aide alimentaire pour soutenir les populations vulnérables mais il y a tout de même un certain nombre de plaintes par rapport à la gestion de cette aide y compris à Kaolack. Quels sont les facteurs qui entravent la bonne gestion de l’aide alimentaire dans votre région?

En tout cas, l’État est déjà clair sur le principe d’aider ceux ce qui ont des bourses sociales et ceux ce qui étaient sur la liste et qui n’ont pas été payé. C’est logique et pertinent mais tout dépend des conditions dans lesquelles ces bénéficiaires ont été choisis. Des informations sont remontées à nous de la part de certaines populations de certains villages et communes qui nous disent que les choix n’ont pas été pertinents.

Il peut arriver que dans certains villages, un chef de village inscrive sa belle-fille ou il s’inscrit et inscrit son épouse. Ça veut dire qu’il peut y avoir une maison qui bénéficient de deux kits d’aide alimentaire. Voilà cette épineuse question à laquelle il faudra trouver des solutions, c’est à dire qu’il n’y ait pas plus de deux kits par concession et il faudra vérifier si la famille est vulnérable ou pas. Nous avons fait attention au fait que, dans une concession, il peut y avoir plusieurs familles autonomes. En tout cas, une famille ne doit pas bénéficier de plus de deux kits et si cela est réglé je pense que ça serait pertinent.

A partir de juin, c’est la saison des pluies, il faudra trouver non seulement des conditions d’existence et de survie et il faut créer des conditions de productivité c’est-à-dire être dans les champs, faire des financements, avoir une main d’œuvre abondante

Il n’y a que cette question qui pose problème c’est-à-dire qu’on aide quelqu’un qui ne soit pas dans le besoin. Pour cela, il y a une solution. Les directives qui ont été donné par le ministère du développement communautaire sont très claires. J’ai entendu personnellement la directrice générale de l’action sociale parler à la télévision en demandant qu’au niveau des quartiers, on laisse aux différentes organisations de jeunes, de femmes, aux imams, aux chefs de village et aux différents élus du quartier, le choix de déterminer et cibler les familles les plus nécessiteuses qui ont besoin d’aide.

Si la distribution est transparente et que la communication est bien faite, on pourra effectivement arriver à relever le défi des partisans qui pourraient entraver l’aide alimentaire. S’il n’y a pas de démarche partisane, ça sera une excellente chose et le président de la République sera très satisfait parce que son souhait n’était pas un souhait partisan mais aujourd’hui c’est tout le monde qui est uni, l’opposition comme le pouvoir, car nous sommes tous des Sénégalais et nous sommes tous de la même famille donc il faut qu’on arrive à créer les conditions d’une gestion transparente de l’aide alimentaire.

Quelles recommandations faites-vous pour améliorer la prévention de la maladie mais aussi éliminer les facteurs de risque qui subsistent?

Je voudrais dire d’abord qu’il faudra continuer de faire la sensibilisation car cela est très important. Deuxièmement, étant donné que tous les cas suspects, même ceux de l’étranger, n’ont pas donné de résultat positif, c’est-à-dire jusqu’aujourd’hui il n’y a pas de cas dans la région Kaolack, ce qu’il faudra nécessairement faire maintenant c’est d’avoir des dispositions au niveau des entrées de la région afin que tous ceux qui ont une autorisation de circuler, qui le font de région en région et qui doivent traverser Kaolack, soient testés afin qu’ils ne risquent pas de donner cette maladie.

Si nous réglons ce problème, il n’y a plus de risque et Kaolack pourra rester pendant longtemps sans enregistrer de cas d’infection. Donc il nous faudra un contrôle à priori pour ceux ce qui viennent des autres régions quelle que soit la raison, qu’elle soit professionnelle, pour les denrées alimentaires etc. Ces gens doivent être contrôlés.

Il peut arriver que dans certains villages, un chef de village inscrive sa belle-fille, ou il s’inscrit et inscrit son épouse. Ça veut dire qu’il peut y avoir une maison qui bénéficient de deux kits d’aide alimentaire

Le dernier mot c’est d’inviter les Kaolackois, toutes causes confondues, toutes obédiences, quel que soit l’âge et les activités que l’on développe, que chacun se dise que c’est moi le président de la République, que chacun se dise que c’est moi le ministre de la santé, c’est moi le président du département ou c’est moi le maire. Tous ensemble, nous avons un rôle important à jouer et personne n’est de trop. Que les femmes, les associations, les groupements, les joueurs et leurs associations mènent des activités importantes. Il nous faudra continuer dans cette dynamique afin de préserver Kaolack.

Il nous faudra un contrôle à priori pour ceux ce qui viennent des autres régions quelle que soit la raison, qu’elle soit professionnelle, pour les denrées alimentaires etc.

Nous invitons les autres régions à faire la même chose car le combat est local. On le gagne au niveau local et c’est l’ensemble des résultats qui donne un résultat national. Nous prions aussi pour que Dieu le tout puissant, dans sa miséricorde et sa clémence infinies, puisse faire disparaitre ce virus du Sénégal, de l’Afrique mais également du monde entier parce qu’aujourd’hui, ce n’est pas des bombes atomiques ni nucléaires qui ont la solution. Ceux qui pensaient être les plus grandes puissances de ce monde sont aujourd’hui ceux qui sont les plus impactés par le virus.

 


Source photo : Watu Digital Lab & Sunu Nataal

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