El Hadji Omar Massaly, Écrivain: « Les autorités politiques ne viennent plus à Manconomba parce qu’il y a la pandémie dans notre communauté »

Les entretiens de WATHI – Les régions du Sénégal – Série Covid-19 – Focus Kolda

El Hadji Omar Massaly

El Hadji Omar Massaly est écrivain et chroniqueur originaire de Sédhiou.

Cet entretien fait partie de la série de podcasts de WATHI sur la crise de la Covid-19 dans les régions du Sénégal.

Lisez des extraits de notre entretien avec Elhadji Omar Massaly en attendant la publication prochaine du podcast.

Extraits

Le 5 avril, un homme du village de Manconomba a été identifié comme le premier cas de Covid-19 à Sédhiou. A partir de ce premier cas, il y a eu une explosion de la contamination dans la région qui compte aujourd’hui 96 cas positifs.  Vous pensez que cette situation a entrainé une stigmatisation du village de Manconomba. En quoi cette stigmatisation tient-elle?

La région de Sédhiou est une région qui a dernièrement connu le premier cas lié à la pandémie du coronavirus. La personne à l’origine de la contamination a quitté le Nord de Louga le 5 avril, et est rentrée chez elle à Manconomba. Manconomba est un village qui se trouve dans la commune Oudoucar. Après son arrivée le 6 avril, il lui a fallu 21 jours pour avoir les symptômes.

Aujourd’hui, nous sommes à 96 cas positifs, dont 26 guéris. Pour la plupart des cas déclarés, ils ont été contaminés par cette personne revenue de Louga. Cette situation a fait que les habitants de Manconomba ont été victimes d’une stigmatisation. Cela a créé une situation assez compliquée parce que s’ils arrivent dans les autres villages environnants, les gens ne veulent pas avoir des contacts avec eux parce qu’ils se disent qu’ils ont la maladie et cela les a frustrés.

Ils ont quand même clamé cela, le fait qu’ils soient stigmatisés et également le fait que nos autorités doivent y aller pour les rassurer et pour être sur le terrain afin de leur faire comprendre que c’est une maladie qui existe comme d’autres maladies.  Des mesures sont prises à l’endroit de tous ceux qui sont touchés par le virus, pour qu’ils soient dans de bonnes conditions, pour qu’ils soient traités, afin qu’ils puissent guérir de cette maladie.

Vous parlez de défection des autorités politiques, mais ce n’est pas seulement cela qui a été critiqué à Manconomba et à Sédhiou en général. Quelles sont les autres insuffisances que l’on note sur le plan politique dans la gestion de la crise actuelle?

Il y a beaucoup d’hommes politiques dans la région de Sédhiou.  J’avais noté quelque part dans mes écrits que, quand cette situation arrive dans une région comme Sédhiou, où il y a beaucoup d’autorités politiques, où nous avons un ministre de la République, ministre de la Communication et de la Culture, Monsieur Abdoulaye Diop, nous avons deux députés, etc., ces autorités doivent pouvoir se retrouver autour de l’essentiel. C’est-à-dire pouvoir discuter sur les stratégies politiques à mettre en œuvre pour pouvoir contrecarrer le virus, pour qu’ensemble, ils puissent travailler à mieux sensibiliser la population. On n’a pas vu cela.

Dans les autres villages environnants, les gens ne veulent pas avoir des contacts avec eux parce qu’ils se disent qu’ils ont la maladie

Chacun fait son travail de son côté.  Cela crée un problème parce que les responsables politiques auraient dû trouver un plan de riposte politique qu’ils vont ficeler ensemble pour pouvoir apporter des réponses claires aux questions que posent les populations. Mais malheureusement, on ne l’a pas vu.

Tout ce qu’on a vu, ce sont des hommes politiques qui font les choses en solo et cela a vraiment créé d’autres problèmes parce qu’ils auraient dû contrecarrer le virus et régler ce problème en bloc. Dans ce genre de situation, il faut que les gens puissent aller au-delà de leur ego, au-delà des questions partisanes pour se retrouver autour d’un cadre, autour d’un idéal et discuter avec l’ensemble des jeunes influents, avec l’ensemble des porteurs de voix, des hommes politiques pour qu’ils puissent réfléchir à une stratégie de riposte. Mais malheureusement, ils ne l’ont pas fait.

Ces événements peuvent-ils avoir des implications sur les élections locales qui constituent le prochain scrutin au Sénégal?

Oui, en effet, ce fait peut avoir un impact sur les élections locales à venir. Quand on regarde le comportement et l’attitude des populations sur le terrain, ils croient que les hommes politiques ne sont pas sur le terrain ; pas tous, mais nos députés et autres, ceux qui doivent y être, ne le  sont pas. Cela crée un sentiment de frustration. Et cela crée une situation assez compliquée parce qu’elles se posent des questions à savoir pourquoi ceux qui venaient ici pour nous parler de politique, pour nous parler de vote, pour nous obliger à voter pour eux, ne viennent plus parce que nous sommes malades ou bien parce qu’il y a la pandémie dans notre communauté. Cela peut avoir un impact pas du tout positif parce que cela crée une situation de mécontentement par rapport au comportement de certains hommes politiques. Évidemment, ceux qui sont présents auront la sympathie des populations et ceux qui ne seront pas présents n’auront pas la sympathie des populations parce qu’elles vont se dire qu’ils ne viennent que quand ils ont besoin de nous.

Dans votre région , quelles sont les forces et les faiblesses du dispositif mis en place pour faire face à la crise de la Covid-19?

Les autorités administratives et politiques ont pris des mesures à l’instar de toutes les régions du Sénégal qui ont été touchées par la pandémie. Elles ont pris des mesures très tôt pour pouvoir contrecarrer la propagation du virus. Avec le comité départemental de lutte contre le Covid-19, elles ont mis les stratégies qu’il faut pour pouvoir barrer la route au virus. Il y a un centre pour mettre en quarantaine tous ceux qui sont suspectés et tous les gens qui sont déclarés positifs. Ils sont dans de bonnes conditions, ils sont en train d’être traités même s’il faut noter qu’il faut aussi renforcer le dispositif sanitaire. Mais il faut que les autorités, surtout politiques, soient présentes sur le terrain pour pouvoir rassurer les populations de Manconomba.

Sur le plan des moyens, ils doivent faire des efforts parce que les denrées alimentaires qu’ils ont envoyées à Sédhiou sont toujours stockées dans la commune de Sédhiou. Ces denrées alimentaires qui sont là-bas, ces fonds et ces dons qui ont été faits par les citoyens et les personnes de bonne volonté, il faut les amener dans le village pour permettre aux populations d’avoir de la nourriture et des aliments, leur permettre d’être dans une condition souhaitée et souhaitable puisqu’ils n’ont pas les possibilités de se déplacer de village en village et faire des achats, acheter des poissons et autres comme ils le faisaient. Il faudrait qu’on distribue ces vivres pour leur permettre au moins de rester chez eux et de faire attention à ne pas beaucoup bouger. C’est sur ce plan qu’on attend nos hommes politiques.

Il faut que les autorités, surtout politiques, soient présentes sur le terrain pour pouvoir rassurer les populations de Manconomba

Les futures décisions politiques seront cruciales pour la région de Sédhiou. A votre avis, quelles sont les mesures à prendre pour mieux gérer la crise dans la région?

Sur le plan sanitaire d’abord, il faut réfléchir à ce qui manque dans la région. Il faut réfléchir aussi sur ce qu’il faut mettre en place pour anticiper les questions éventuelles. Il y a un manque de lits. Il faut le maximum de lits pour pouvoir prendre en charge tous ceux qui seront malades, ceux qui seront victimes de cette pandémie. Sur ce plan, il faut aussi prendre des dispositions pour avoir le matériel, tout ce dont les médecins et les soignants ont besoin pour pouvoir s’occuper des malades sur place.

En cas d’urgence, ils ne peuvent pas bouger pour aller à Ziguinchor ou à Kolda pour traiter les malades ou pour les mettre dans de bonnes conditions.  Il faut que les dispositifs soient prêts parce qu’avec l’évolution de la pandémie, nous étions à 60 cas. Cela a explosé jusqu’à 96 cas aujourd’hui. Il faut s’attendre à beaucoup plus de cas dans un ou deux mois. Face à cet état de fait, il faut que des décisions soient prises pour anticiper les questions éventuelles.

Il y a un manque de lits. Il faut le maximum de lits pour pouvoir prendre en charge tous ceux qui seront malades, ceux qui seront victimes de cette pandémie

La deuxième chose, sur le plan politique, le président de la République doit donner des instructions à tous ces hommes politiques qui sont dans la région pour qu’ils puissent ensemble discuter autour d’un cadre afin de trouver les solutions qu’il faut. Chacun ne peut pas travailler en solo et dérouler son plan en solo, donc il faut aujourd’hui aller à l’essentiel. L’essentiel, c’est de se retrouver autour d’un idéal, autour d’un cadre pour apporter des réponses précises face à la hantise des populations.

Sur le plan économique, que faire pour que cette crise n’aggrave pas la vulnérabilité aigüe de Sédhiou?

Sur le plan économique, tout le monde sait que Sédhiou est une des régions les plus pauvres. Nous sommes à plus de 67 % de taux de pauvreté. Les petits commerces sont bloqués et c’était rentable. Il y a les jakarta-man (conducteurs de motos*) qui s’activent dans le transport, c’est ce moyen qui leur apporte des revenus. Il faut leur permettre, avec l’allègement des mesures, de vaquer à leurs activités économiques.

Dans un projet à court terme, l’État peut penser à alléger les mesures pour permettre aux femmes qui sont dans les commerces et les hommes, les gens qui bougent de village en village ou qui achètent des produits pour les revendre dans les marchés, de continuer leurs activités, mais tout en les encadrant, tout en les obligeant à respecter les mesures de distanciation, d’exiger le port de masque. C’est sûr que sur le plan économique, déjà, les gens sont en train d’en souffrir. Ils sont en train de souffrir des conséquences néfastes.

Dans un projet à long terme, l’État peut penser à trouver des financements pour les dames, parce que les activités économiques ne sont pas rentables actuellement. Elles ne peuvent pas bouger, les activités sont en berne. Il faut des financements peut-être pour accompagner ces dames et ces jeunes.

 


Source photo : Watu Digital Lab

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