Pape Samba Sow, Agronome: « Avec l’avancée du désert, si rien n’est fait d’ici 30 ans, la région de Matam sera invivable »

Les entretiens de WATHI – Les régions du Sénégal – Focus Matam

Pape Samba Sow

Pape Samba Sow est un agronome originaire de Matam où il est né et a fait la majeure partie de ses études. Il est le coordinateur des activités de terrain du projet « Sen Solar Cdw » qui intervient dans la région de Matam pour promouvoir l’agriculture biologique.

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Extraits

Au regard de votre expérience dans la région, comment voyez-vous l’état de l’agriculture à Matam?

Depuis au moins une décennie, le secteur agricole connait des difficultés réelles sur le terrain que ce soit l’agriculture pluviale, la décrue, la riziculture, le maraîchage et l’horticulture. De façon générale, cette situation est illustrée par le fait que le secrétaire exécutif du Conseil national de sécurité alimentaire, en l’occurrence Jean Pierre Senghor, a déclaré lors de l’ouverture de l’atelier  sur le thème « Cadre harmonisé avec les partenaires », que la région de Matam fait partie des zones à surveiller pour un éventuel risque d’insécurité alimentaire. Des neuf départements menacés sur les 45 au Sénégal, trois départements de la région en font partie notamment : le département de Matam, le département de Kanel et le département de Ranérou.

Année après année, le changement climatique devient une plus grande menace dans la région. Comment cela affecte-t-il le secteur agricole en particulier?

Le secteur agricole est touché par les effets du changement climatique. La production agricole et les rendements sont fortement tributaires de l’intensité des précipitations, de leur durée et de leur répartition. Cependant, les variations climatiques notées ces dernières années liées à l’émission de gaz à effet de serre ont contribué considérablement à la baisse de la fertilité des sols, favorisant ainsi l’érosion éolienne, hydrique et la désertification.

Le désert avance d’une manière extraordinaire. Ce qui est sûr, c’est que si rien n’est fait d’ici 30 ans, la région de Matam sera invivable. Ce phénomène accentue la rareté des précipitations pour la production agricole et la cherté de l’eau pour l’irrigation. Les producteurs abandonnent partiellement ou totalement la pratique de l’agriculture au profit de l’immigration.

D’abord, à l’intérieur du pays, au niveau des capitales urbaines, c’est l’exode rural. Ces premières expériences conduisent un bon nombre d’entre eux vers l’Occident en espérant y trouver des conditions de vie meilleures afin de subvenir aux besoins familiaux. Quelques fois, c’est au prix de leurs vies qu’ils tentent de quitter le pays ou le continent par le désert libyen ou la Méditerranée. Quelquefois, l’immigration clandestine signifie des « allers sans retour ».

 Quels sont ces autres secteurs touchés par le changement climatique à Matam?

Il n’y a pas que le secteur de l’agriculture qui est touché par ce phénomène de dérèglement climatique. Il y a également les autres secteurs par exemple l’élevage. Comme vous le savez, si les pluies ne tombent pas ou ne tombent pas à temps, le cheptel est en perpétuelle divagation. Les éleveurs sont obligés de quitter la région vers les autres régions du pays comme la région de Tamba ou la région de Kédougou et même vers les autres pays comme le Mali, à la recherche de pâturage.

Ce phénomène accentue la rareté des précipitations pour la production agricole et la cherté de l’eau pour l’irrigation. Les producteurs abandonnent partiellement ou totalement la pratique de l’agriculture au profit de l’immigration

Cela occasionne au niveau de la région, et même au niveau du pays, le manque de viande ou la cherté de la viande et même la cherté des bêtes. Ce qui a d’ailleurs occasionné le manque de moutons cette année, pendant la fête de la Tabaski, au niveau des grands marchés et des grands points de vente comme Thiès, Dakar, Ziguinchor et même la région de Kaolack. Comme vous le savez, la région de Matam est l’une des régions qui fournit le marché sénégalais en moutons de Tabaski .

En 2018, nous avons reçu la pluie le 27 juin 2018. Cette année, la situation était pire, nous avons reçu la première pluie le 24 juillet 2019. Vous constatez que la situation se creuse d’année en année. La région de Matam est l’une des régions les plus chaudes du pays ou sinon la plus chaude en matière de température. La température peut atteindre quelques fois 48 degrés à l’ombre. C’est pourquoi personne ne veut être affecté à Matam. Ceux qui y sont affectés trouvent toujours un prétexte pour quitter la région à cause de cette température extrêmement élevée. Cela entraine également l’instabilité au niveau des services. Dans les hôpitaux, il est très rare de trouver un spécialiste ou par exemple de trouver un gynécologue au niveau de l’hôpital de Matam ou au niveau de l’hôpital de Ouroussogui. Les pathologies respiratoires, les maladies de la peau liées à la pollution atmosphérique augmentent à cause de la température. Les couches les plus vulnérables, que sont les enfants et les personnes âgées, sont exposées.

Avec le contexte que vous décrivez, quelles sont les pratiques des agriculteurs pour s’adapter au changement climatique?

Les producteurs tentent de mettre en place des actions d’atténuation pour modérer les conséquences préjudiciables du changement climatique. De concert avec, d’une part, les services déconcentrés de l’État comme la Société d’aménagement et d’exploitation des terres du Delta du fleuve Sénégal (SAED), la Délégation générale à l’entrepreneuriat rapide des femmes et des jeunes (Der), la direction de l’agriculture du ministère de l’Agriculture et, d’autre part, avec les ONG intervenant au niveau de l’agriculture sous l’appui de l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA), ils tentent de sélectionner les variétés en cycles courts qui résistent le mieux à la sécheresse et aux attaques avec un cycle de 120 à 125 jours. Par exemple, pour les périmètres rizicoles, nous pouvons citer : la variété Sahel 108, Sahel 177, Sahel 201, etc.

La température peut atteindre quelques fois 48 degrés à l’ombre. C’est pourquoi personne ne veut être affecté à Matam. Ceux qui y sont affectés trouvent toujours un prétexte pour quitter la région à cause de cette température extrêmement élevée

Pour la culture des sous-prix, nous pouvons citer les variétés qui ont été introduites par les projets de l’USAID à Diendé. L’USAID est intervenu au niveau de la région de 2011 à 2017. Il a eu à introduire des variétés qui résistent mieux à la sécheresse comme le mil bio fortifié, le maïs obatampa, le niébé mongo bine, la patate douce à chair orange, etc.

Comment peut-on accroitre la résilience du secteur agricole face au changement climatique et promouvoir une agriculture productive et durable?

Pour mieux accroitre la résilience au niveau de la région, il faut sensibiliser les populations, renforcer les connaissances et la capacité des producteurs du secteur privé, les médias, le service technique et leur fournir les technologies et les techniques améliorées pour mieux s’adapter au changement climatique. Ainsi, il faudra mettre l’accent sur l’adaptation et l’atténuation des impacts liés à l’agriculture face au dérèglement climatique.

Pour mieux accroitre la résilience au niveau de la région, il faut sensibiliser les populations, renforcer les connaissances et la capacité des producteurs du secteur privé, les médias, le service technique

La région de Matam regorge d’énormes potentialités pour booster l’agriculture. Elle est marquée par la prédominance du fleuve Sénégal qui est la principale ressource en eau de surface et traverse la région sur 200km. Deux principales sources d’eau souterraine abondantes et accessibles sont recensées : la nappe maestrichienne à moins de 100m et la nappe phréatique à moins de 30m. Il y a des avantages tels que l’ensoleillement pendant toute l’année, des terres fertiles en abondance et la proportion de la population active est de 20 à 59ans. Par conséquent, l’agriculture productive et durable est bien possible, si et seulement si, les effets du changement climatique sont atténués.

 


Source photo : Watu Digital Lab

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