Politique de financement et gouvernance des universités publiques sénégalaises : vers un nouveau paradigme ? Meylan Mendy, 2021

Auteurs : Meylan Mendy

Organisation affiliée : Laboratoire de recherches en Sciences économiques et sociales (LARSES)

Type de publication : Article académique

Date de publication : 2021

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Introduction

La gouvernance des organisations est « l’ensemble des dispositifs et des principes par lesquels les organisations prennent leurs décisions, planifient leur développement, gèrent leurs ressources, encadrent leurs activités, évaluent leurs performances et rendent leurs comptes ».

La gouvernance universitaire peut être comprise, quant à elle, comme la manière dont les pouvoirs publics orientent et contrôlent le développement des universités publiques. Cela ne peut se faire sans l’une des conditions suivantes : établir le dialogue entre toutes les parties prenantes à l’université, gérer de façon transparente et rigoureuse toutes les ressources dont dispose l’université et garantir une synergie entre les acteurs.

Au Sénégal, le fonctionnement des universités publiques souffre d’une faiblesse des mécanismes de contrôle interne et de gouvernance devant garantir une utilisation efficiente des ressources, d’une insuffisance d’outils de gestion efficaces induisant un pilotage à vue, d’un manque d’allocation stratégique des ressources financières, et d’une absence de visibilité sur un éventuel déficit budgétaire

La gouvernance universitaire consiste à assurer la planification, la coordination et le contrôle des activités aussi bien administratives que financières en lien avec les fonctions des universités. Cependant, cela requiert une mise en place des guides de procédures et de règles administratives et financières, des outils d’évaluation des actions et des opérations engagées en relation avec les instances de décision et de gouvernance.

Au Sénégal, le fonctionnement des universités publiques souffre d’une faiblesse des mécanismes de contrôle interne et de gouvernance devant garantir une utilisation efficiente des ressources, d’une insuffisance d’outils de gestion efficaces induisant un pilotage à vue, d’un manque d’allocation stratégique des ressources financières, et d’une absence de visibilité sur un éventuel déficit budgétaire.

L’introduction de la contractualisation des performances comme mécanisme de gouvernance et outil de financement de l’enseignement supérieur se fonde sur la logique globale de responsabilisation des acteurs des universités publiques, tant sur les résultats attendus que sur le management des ressources mises à leur disposition. Au Sénégal, c’est la première fois dans l’histoire de l’enseignement supérieur que l’on instaure un tel mécanisme après la mise en place de Conseils d’administration dans les trois universités publiques créées entre 2007 (université de Thiès et université Assane Seck de Ziguinchor) et 2009 (université Alioune Diop de Bambey) conformément aux différentes lois relatives à leur création, à leur organisation et à leur fonctionnement.

L’objectif de cet article est d’analyser les pratiques de gouvernance et de financement du secteur de l’enseignement supérieur public sénégalais et d’identifier les éléments traduisant les évolutions apportées.

L’enseignement supérieur public sénégalais à l’école de l’efficacité

En passant d’une obligation de moyens à une obligation de résultat, l’amélioration recherchée des performances des universités sénégalaises entraîne un changement de paradigme (Vinokur 2010). En effet, l’université publique sénégalaise se tourne résolument vers une démarche entrepreneuriale focalisée sur les résultats (Osborne & Gaebler 1993). Elle est appelée à œuvrer au service de la croissance économique du pays et du bien-être des populations en mettant à la disposition des entreprises des diplômés bien formés et opérationnels de suite.

C’est ainsi que l’on note l’émergence de comportements entrepreneuriaux et managériaux au sein des universités publiques sénégalaises. En effet, les universités sont incitées à s’ouvrir à des financements externes à travers le développement de fondations d’université, de partenariats avec les entreprises, de la formation continue, des réponses à des appels à projets pour capter les fonds compétitifs.

La conception des budgets : de la comptabilité publique à la comptabilité d’entreprise

La nomenclature du budget des universités publiques sénégalaises est calquée sur celle du budget public, qui se fonde sur l’allocation des ressources. Ainsi, le principal problème qui se pose tient à l’adaptabilité du budget public à la gestion axée sur les résultats. En effet, la référence aux résultats n’apparaît pas dans la présentation des budgets publics. C’est pourquoi l’État a décidé d’appliquer la comptabilité générale à toute l’administration, y compris les universités publiques. La comptabilité générale, encore appelée comptabilité privée « a pour objet de rendre compte aux actionnaires de l’évolution du patrimoine d’une société et de ses variations». Les outils de gestion (financière) des entreprises que les universités publiques sont tenues d’utiliser se fondent sur la comptabilité privée.

Cependant, a priori, les principes de la comptabilité privée ne peuvent être appliqués aux universités publiques, car les produits et services offerts par l’université sont différents de ceux offerts par les entreprises privées. En d’autres termes, sachant que l’objectif principal des universités publiques n’est pas économique (la recherche du profit), l’application de la comptabilité privée à ces organisations, sans aucune adaptation nécessaire à cet objectif, pourrait s’avérer dangereuse ; à moins que l’objectif de l’État sénégalais soit la privatisation totale de l’enseignement supérieur public. En tout état de cause, on ne peut pas appliquer les outils de la gestion axée sur les résultats aux universités publiques sans changer leurs objectifs.

L’introduction des contrats de performance dans le financement des universités publiques sénégalaises

Au Sénégal, le contrat de performance (CDP) est un contrat signé entre l’État et les universités publiques. Il permet d’établir une corrélation entre l’amélioration de la performance institutionnelle, financière et administrative et le financement, d’accroître l’efficacité des dépenses publiques, d’aligner les objectifs institutionnels avec les objectifs d’intérêt national (PSDES et de promouvoir la reddition de comptes dans l’enseignement supérieur public. En complément du plan stratégique de développement des universités, le CDP est un contrat d’une durée de cinq ans, renouvelable année après année. Le CDP en cours est axé sur le seul volet de performance, articulé autour d’objectifs spécifiques et de résultats attendus mesurés au moyen d’indicateurs.

Une évaluation périodique (trimestrielle pour l’UASZ) de l’exécution du contrat est effectuée en interne. Elle permet de vérifier le respect des cibles et des indicateurs sur des points spécifiques bien déterminés. Par ailleurs, à côté de l’évaluation périodique interne, l’exécution du CDP donne lieu à un examen annuel, par l’État, des résultats effectivement obtenus par rapport aux engagements pris et aux objectifs poursuivis. Cet examen annuel a un impact sur l’allocation annuelle des moyens en cours d’exécution. L’impact financier de l’évaluation annuelle de l’exécution du contrat peut être fort pour les universités.

En effet, le renouvellement du contrat dépend des résultats obtenus par les universités signataires. Celles qui n’exécutent pas correctement leur CDP peuvent le voir remis en cause. En cas d’insatisfaction, c’est-à-dire de manque de respect par une université de ses engagements, l’État peut annuler purement et simplement le CDP. Lorsqu’une telle éventualité se produit, l’université mise en cause peut être sommée de rembourser les montants déjà encaissés dans le cadre du CDP. Il y a donc un important enjeu financier dépendant de la réalisation des objectifs quantitatifs déterminés d’un commun accord par l’université et par l’État lors de la signature du CDP.

Concrètement, avec la signature du CDP, il s’agit pour l’État de renforcer la capacité financière des universités publiques, qui voient augmenter significativement leurs dotations budgétaires. C’est pourquoi des participants aux nouvelles réformes encouragent la systématisation des CDP avec reddition de comptes dans l’enseignement supérieur public. D’ailleurs, la volonté de l’État est de pérenniser les contrats de performance, avec ou sans le bailleur de fonds. La mise en application des CDP correspond au lancement d’une nouvelle ère de gouvernance universitaire au Sénégal.

La gouvernance externe des universités publiques

La gouvernance externe concerne tous les dispositifs institutionnels nationaux ou supranationaux qui influencent le fonctionnement interne des universités publiques sans contribuer à leur gestion interne. Au niveau supranational, l’on peut citer la Banque mondiale, la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), le Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES), le Réseau pour l’excellence de l’enseignement supérieur en Afrique de l’Ouest (REESAO), l’Association des universités africaines (AUA), l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) et la Conférence des recteurs des universités francophones d’Afrique et de l’océan Indien (CRUFAOCI).

Les pouvoirs publics jouent un rôle très important dans le fonctionnement des universités publiques sénégalaises. Ils interviennent dans le cadre du financement, de la gestion du budget des universités, du règlement des conflits liés à l’allocation des ressources, etc. Le recrutement des étudiants de première année de licence est un exemple de l’omniprésence des pouvoirs dans la gouvernance des universités publiques. Jadis laissées aux universités en respect du principe de l’autonomie de ces dernières, la sélection et l’orientation des nouveaux bacheliers sont reprises, depuis la rentrée universitaire 2012-2013, par le MESR. Cependant, les universités publiques sénégalaises disposent de mécanismes internes de gouvernance.

La gouvernance externe concerne tous les dispositifs institutionnels nationaux ou supranationaux qui influencent le fonctionnement interne des universités publiques sans contribuer à leur gestion interne

Les mécanismes de gouvernance interne des universités publiques

La gouvernance universitaire interne porte essentiellement sur les organes qui définissent et encadrent les rôles et les responsabilités des acteurs internes. De 1957 (date création de l’université de Dakar) à nos jours, la gouvernance interne des universités publiques sénégalaises ne cesse de changer. Ainsi va-t-on assister à la transformation de l’Assemblée d’université, composée exclusivement des membres de la communauté universitaire et dirigée par le recteur, en un Conseil d’administration animé entre autres par des personnalités du monde de l’entreprise, de la société civile et des collectivités territoriales ; lequel Conseil est présidé par une personne extérieure à l’université.

Au recteur est confiée la mise en œuvre des décisions (qui forment les droits de gestion) et au Conseil d’administration la ratification et la surveillance (qui forment les droits de contrôle de la décision), la surveillance débouchant sur des décisions de récompense ou de sanction (Fama & Jensen 1983a, 1983b). Cette évolution marque le renforcement de l’autonomie des universités publiques et des pouvoirs de leurs organes de délibération. De plus, ce changement permet d’accroître la participation des partenaires externes dans la définition des priorités et le processus de planification stratégique.

Mais il faut reconnaître que, dans la pratique, le Conseil d’administration de certaines universités publiques est dirigé par le recteur et est dominé par les composantes de la communauté universitaire (Baïdari & Wade 2011). À côté du Conseil d’administration, l’État a créé le Conseil académique auquel il a accordé certaines attributions du Conseil d’administration ancienne formule. Présidé par le recteur, le Conseil académique délibère sur toutes les questions à caractère scientifique, académique et pédagogique et sur les questions relatives à la discipline et à la recherche.

Le recteur a un poids important sur les décisions financières et administratives, mais il ne contrôle pas réellement les questions académiques. Celles-ci sont laissées à la discrétion du nouveau Conseil académique, des départements (ou sections), et des unités de formation et de recherche (ou facultés). C’est le cas par exemple du recrutement du personnel d’enseignement et de recherche (PER). Les postes d’enseignant-chercheur à recruter sont inscrits dans le budget de l’université par le recteur. Mais ce sont les départements qui définissent les profils, dépouillent les dossiers de candidature reçus et sélectionnent les enseignants-chercheurs ayant le meilleur profil et retiennent les recrues après un entretien avec les candidats admissibles. L’UFR valide le recrutement que le recteur confirme avec la publication d’un arrêté de nomination.