Réconcilier les sénégalais avec leur système de santé : quelles solutions pour réduire le renoncement aux soins ?, LISER, Octobre 2023

Auteur : Mohamadou Sall

Site de publication : Luxembourg Institute of socio-economic research

Type de publication : Policy brief

Date de publication :  Octobre 2023

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Le Sénégal traverse actuellement d’importants changements structurels dans sa population en raison de la diminution des taux de fécondité et de mortalité. Cette transition démographique entraîne une hausse du ratio de dépendance, défini comme le rapport entre la population en âge de travailler et la population dépendante (jeunes et personnes âgées), ce qui accroît le potentiel de croissance et d’investissement du pays. Pour tirer pleinement parti de ce dividende démographique et le convertir en croissance économique, il est essentiel de mettre en place des politiques visant à stimuler l’emploi et la productivité des travailleurs. En particulier, l’amélioration de l’état de santé de la main-d’œuvre constitue un objectif central.

Au cours de la dernière décennie, le Sénégal a investi des montants importants en vue d’améliorer la santé de sa population. En 2013, le gouvernement a lancé son programme de Couverture Maladie Universelle (CMU) qui visait initialement à couvrir 75% de la population à l’horizon 2017. Plus récemment, en 2022 et 2023, le pays a réalisé de nouveaux investissements en vue d’améliorer l’offre de soins.

Ces investissements n’impliquent pas forcément une amélioration rapide des indicateurs de santé. Les retombées dépendent de la convergence entre l’offre de soins et les besoins des citoyens. Ainsi, les efforts consentis par les pouvoirs publics ne seront efficaces que s’ils rencontrent l’adhésion de la population.

Deux grandes logiques décisionnelles du renoncement aux soins, Renoncement-barrière et renoncement-refus : deux causes de rejet du système de santé

Les raisons du renoncement aux soins sont regroupées en deux grandes catégories impliquant des logiques décisionnelles différentes :

  • Le renoncement-barrière signifie que l’individu renonce aux soins car ils sont jugés, à tort ou à raison, inaccessibles.
  • Le renoncement-refus signifie que l’individu opte pour une manière alternative de traiter son problème de santé.

Enseignements d’une enquête quantitative

Pour mieux cerner l’ampleur du phénomène et ses motivations, nous nous appuyons sur une enquête quantitative menées en 2019-20 auprès de 2.170 ménages dans trois régions du Sénégal – Tambacounda, Diourbel et Thiès. L’objectif principal de l’enquête est de mieux comprendre les disparités spatiales en matière d’accès aux soins de santé et l’impact de la couverture maladie universelle.

Ces investissements n’impliquent pas forcément une amélioration rapide des indicateurs de santé. Les retombées dépendent de la convergence entre l’offre de soins et les besoins des citoyens. Ainsi, les efforts consentis par les pouvoirs publics ne seront efficaces que s’ils rencontrent l’adhésion de la population

Le renoncement aux soins est un phénomène important au Sénégal, très majoritairement motivé par le recours à des pratiques alternatives d’automédication ou par les contraintes financières. Il est légitime de penser que l’ampleur du phénomène s’explique par le fait que la Couverture Maladie Universelle n’est pas encore suffisamment développée et démocratisée dans les régions reculées du pays, ou ne touche pas les catégories les plus à risque de la population.

Les déterminants individuels du renoncement aux soins : un grand nombre de personnes gravement malades renoncent aux soins de santé

Une analyse statistique multivariée permet d’identifier les déterminants de la probabilité qu’un individu ait renoncé aux soins de santé en situation de maladie ou après un accident. Les facteurs potentiels incluent l’âge, le genre, le revenu et/ou niveau d’instruction, le milieu de résidence, l’affiliation à une assurance maladie, et le type de maladie dont souffre l’individu.

Des constats aux recommandations

La proportion relativement élevée de personnes qui renoncent aux soins de santé est révélatrice de l’inaccessibilité de système public de santé pour une fraction très large de la population. La confiance plus grande dans l’automédication et le caractère onéreux des soins sont invoqués par plus de 8 personnes sur 10 parmi ceux ayant renoncé aux soins. Ces deux motifs apparaissent souvent indissociables. En effet, le coût élevé des soins – consultations, examens et médicaments – pousse les individus plus pauvres, moins éduqués ou isolés dans les zones rurales à recourir à l’automédication, perçue comme la seule alternative accessible.

Le renoncement aux soins est un phénomène important au Sénégal, très majoritairement motivé par le recours à des pratiques alternatives d’automédication ou par les contraintes financières. Il est légitime de penser que l’ampleur du phénomène s’explique par le fait que la Couverture Maladie Universelle n’est pas encore suffisamment développée et démocratisée dans les régions reculées du pays, ou ne touche pas les catégories les plus à risque de la population

En principe, on attend de la mise en place ou de l’extension d’un système public de couverture maladie qu’il réduise la prévalence du renoncement aux soins. Dans les faits, les taux de renoncement élevés observés chez les bénéficiaires de la couverture maladie démontrent qu’étendre l’assurance maladie ne garantit pas automatiquement un accès aux soins de qualité répondant aux besoins des populations.

Plusieurs raisons expliquent ce constat. Premièrement, le contenu des paquets offerts par les institutions sanitaires en général, et celle en charge de la couverture maladie universelle en particulier, ne correspond pas toujours à la demande des assurés.

Deuxièmement, au-delà de l’inadéquation de l’offre de soins, l’enquête révèle également que les dépenses de médicament après consultation sont rédhibitoires. Les achats de médicament constituent le poste de dépense le plus important dans les dépenses de santé des individus et des ménages.

Troisièmement, l’enquête révèle également que le renoncement est motivé par une perception négative de la qualité et de l’utilité des soins.

Cette perception du caractère inutile des soins renvoie à plusieurs causes possibles et non exclusives :

  • Une perception négative de la qualité des services :
  • Une banalisation de la maladie et/ ou de son caractère temporaire
  • Une imputation causale/déterministe de la maladie à des évènements externes, ce qui entraîne que la prise en charge des maux relève davantage de la médecine traditionnelle que de la médecine moderne.

Réduire le renoncement aux soins requiert une combinaison de mesures

A la lumière de ces constats, plusieurs recommandations politiques et programmatiques peuvent être formulées pour stimuler la demande de soins et augmenter l’efficacité des investissements publics dans le système de santé :

  • Renforcer de l’offre de soins en étoffant le contenu des paquets relatifs aux programmes de gratuité, en assurant la disponibilité de médicaments essentiels au niveau des structures publiques, et en améliorant la qualité des services de santé
  • Mener des campagnes de sensibilisation et de communication
  • Réguler l’offre de soins traditionnels et le commerce de rue des médicaments.
  • En matière de gouvernance du système, accélérer la décentralisation de l’offre de soins en général, et celles des soins spécialisés en particulier ; décentraliser les organisations mutualistes à un niveau géographique approprié et professionnaliser les services.

L’état des connaissances sur la demande de santé et les causes du renoncement nous incite également à recommander la conduite et le financement de recherches scientifiques additionnelles sur le processus décisionnel menant au renoncement. Cela implique d’améliorer la compréhension des déterminants spécifiques du renoncement-barrières et du renoncement-refus selon le type de soin concerné (le long de la pyramide sanitaire) et de mesurer l’impact des diverses réformes, politiques ou programmatiques, énoncées plus haut.

 

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