« Au fur et à mesure qu’elles avancent dans leur éducation, le nombre de filles qui restent à l’école s’effrite » Bounama Kanté, Adjoint au maire de Tambacounda

Bounama Kanté

Bounama Kanté est l’adjoint au maire de Tambacounda, la plus grande ville du Sénégal oriental, dont elle est la capitale administrative

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Il y a une prolifération des associations sportives et culturelles à Tambacounda, est-ce que ces associations travaillent en collaboration avec la mairie pour la mise en œuvre de programmes en faveur de la jeunesse ?

Nous avons constaté la prolifération d’associations sportives et culturelles. Ce sont des mouvements qui ont été mis en place par des enseignants et des étudiants. C’était pour s’occuper durant la période des vacances en faisant de la pratique sportive, culturelle et du développement. Du point de vue de leur impact dans le développement, il y a énormément de problèmes.

À l’origine, ces étudiants et ces enseignants prévoyaient faire des cours de vacances pour élever le niveau d’étude des enfants dans leurs localités respectives. Au-delà, l’objectif était de faire de la pratique sportive pour la détection de talents, et de promouvoir la pratique culturelle : dynamiser notre culture à travers le théâtre, le chant, la poésie. Ce sont aussi des actions de développement comme le nettoiement, la salubrité et le reboisement qui se faisaient pendant les vacances.

Il faudrait que ces jeunes eux-mêmes aient l’ambition d’améliorer leur condition. Peu d’entre eux viennent avec des projets

Actuellement, peu d’associations s’engagent dans ce sens. Nous entretenons seulement des rapports avec les associations sportives et culturelles quand nous leur donnons des subventions.

La population de Tambacounda est composée en majorité de jeunes. Ces jeunes disposent-ils d’un accompagnement adéquat pour mener leurs études et leurs projets ?

Il faudrait que ces jeunes eux-mêmes aient l’ambition d’améliorer leur condition. Peu d’entre eux viennent avec des projets. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas. Certains jeunes sont très engagés dans le cadre des projets. Ils se rendent à la mairie même s’ils ne sont pas satisfaits. Nous sommes d’accord qu’autant ils viennent vers nous, autant ils ne sont pas toujours satisfaits. C’est lié aux relations qu’ils entretiennent avec la collectivité territoriale. Les rapports qu’ils établissent avec la collectivité territoriale ne sont pas des rapports durables.

Concernant les violences faites aux filles dans le milieu scolaire, quels sont les actes posés pour réduire ce phénomène ?

Il y a eu des actions de sensibilisation. Ces questions de violences sont plutôt culturelles. Ce que nous estimons être une violence, dans une certaine mesure, c’est pour nous une manière de prendre en charge l’éducation de l’enfant. Au-delà de cet aspect d’éducation, il y a cette obsession à aller vers la violence qu’on remarque de plus en plus, surtout dirigée vers les filles. C’est un phénomène regrettable qui prend de l’ampleur. Ce qui est fait en général et qui est efficace, c’est que les gens s’organisent en groupes d’alerte et d’action afin que ce phénomène puisse s’atténuer. Tout cela va s’adosser forcément sur l’éducation, une éducation basée sur la nécessité d’être performante et opérant pour s’opposer d’une manière efficace face à la violence faite aux filles.

Il y a cette obsession à aller vers la violence qu’on remarque de plus en plus, surtout dirigée vers les filles

Au niveau de la collectivité territoriale, il y a des associations qui se rapprochent de nous. Le rôle d’une collectivité territoriale n’est pas forcément de poser des actes allant dans le sens de l’organisation d’activités, mais d’accompagner les acteurs à la base chaque fois que ceux-ci entreprennent des activités pour lutter contre les violences faites aux femmes. Nous recevons des demandes de la part d’associations qui luttent contre les violences basées sur le genre. Nous les accompagnons très souvent en termes de logistique et de finance.

Sur la situation des filles dans le milieu scolaire, est-il plus fréquent que les filles abandonnent l’école par rapport aux garçons ?

Dans le passé, il y avait un faible taux de scolarisation des filles. Par la suite, les gens se sont mobilisés avec le pouvoir public et aujourd’hui la tendance est renversée. Beaucoup plus de filles entrent à l’école, réussissent aux examens. Mais le problème qui demeure, c’est le taux d’achèvement. Cette année par exemple, la meilleure élève au baccalauréat est une fille, ce qui prouve qu’elles sont performantes. Mais elles ne sont pas nombreuses.

Beaucoup plus de filles entrent à l’école, réussissent aux examens. Mais le problème qui demeure, c’est le taux d’achèvement

Au cycle élémentaire, il y a beaucoup plus de filles que de garçons. Même durant les examens nous avons constaté que plus de filles sont inscrites que de garçons. Et pourtant, pendant le cursus scolaire, jusqu’en classe de terminale, nous constatons que le nombre de filles s’effrite progressivement.

Comment corriger le problème de l’abandon scolaire chez les filles ?

D’abord, il faut retirer les facteurs qui contribuent au problème. Parmi ces facteurs, nous trouvons souvent les mariages et les grossesses précoces. Comment alors travailler pour réduire cela ? Beaucoup plus de moyens sont nécessaires pour que les filles soient à l’abri du besoin. Il faut lutter contre les grossesses précoces et les mariages précoces, qui sont parfois liés à la situation sociale de l’enfant. Il faudrait qu’il y ait une mobilisation générale autour des filles, pour qu’elles soient bien protégées à l’école jusqu’en classe de terminale.

Comment jugez-vous les efforts d’autonomisation des femmes et des filles à Tambacounda ?

Il y a de très bons efforts, même si plusieurs choses restent à faire. Il faut autonomiser les femmes de manière durable. Il ne s’agit pas ponctuellement de remettre une somme d’argent mais il faut les trouver dans leurs activités propres et les renforcer. Il faudrait que la jeune fille puisse répondre à ses besoins réels. Pour cela il faut la soutenir dans sa famille. Il faut faire en sorte que sa famille ait les moyens de la satisfaire. Il s’agit beaucoup plus de renforcer la famille de cette jeune fille plutôt que de renforcer la jeune fille elle-même. L’autonomisation d’une jeune fille ne veut absolument rien dire si elle se retrouve dans une famille qui n’est pas économiquement autonome. À chaque fois que nous identifions une jeune fille qui n’est plus dans le cursus scolaire, il faut regarder les conditions dans lesquelles elle vit.

Nous allons évoquer des questions liées à la gouvernance locale. Les organisations politiques et administratives de votre localité permettent-elles une bonne prise en compte des préoccupations des citoyens dans les décisions publiques ? 

Il reste beaucoup à faire, car nous sommes trop dans cette démocratie électoraliste. Alors que la vraie démocratie, c’est la démocratie participative. C’est cette dernière qui permet véritablement à chacun d’atteindre l’avoir et le pouvoir. Quand vous voulez réfléchir pour quelqu’un, sans lui, vous êtes en train de réfléchir contre lui. Il faut jeter les bases d’un échange de réflexions dans lequel participe la personne elle-même. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas penser que quelqu’un de la population peut efficacement participer au développement économique et social de sa localité tant qu’il n’en connaît pas les tenants et les aboutissements.

Selon vous, quelles sont les limites qui peuvent réduire l’impact que peut avoir le maire dans sa communauté ?

La limite c’est surtout d’avoir les moyens financiers. L’autre limite, c’est sa capacité de mobiliser les populations face aux défis. Il faut que le maire comprenne qu’il a été élu par les populations. Ce n’est pas à lui seul de développer sa localité. Le rôle du maire doit consister à mobiliser et créer une dynamique participative autour des problèmes. Les missions que les maires se fixent sont sur les problèmes de la population. Il faut donc amener ces populations à comprendre que “vos” préoccupations ne peuvent être réglées que par vous-mêmes en menant telle ou telle action.

Il ne faudrait pas que le maire accepte qu’il y ait des attitudes de méfiance entre lui et ses populations

Les limites du maire, c’est aussi un problème de confiance. Il ne faudrait pas que le maire accepte qu’il y ait des attitudes de méfiance entre lui et ses populations. Le maire doit faire en sorte que chaque habitant de sa localité puisse se dire, “oui, c’est nous qui lui avons demandé de faire cela”, suivant chacune de ses actions. Dans le processus décisionnel, les populations doivent être au centre, parce que ce sont les populations seules, par rapport à leurs préoccupations, qui déterminent l’action efficace du maire.

Quel doit être le rôle d’un parti politique ancré au niveau local, au niveau de la vie de sa communauté ?

Éveiller les consciences ! Aujourd’hui un parti politique n’a pas d’autre rôle. La politique est un instrument qu’on utilise pour réfléchir sur l’amélioration des conditions de vie des populations. Vous ne pouvez pas améliorer les conditions de vie d’un individu, tant que cet individu ne vous dit pas ce dont il a besoin. Il faudrait donc d’abord qu’il ait un cadre sécurisé. Il faut que l’environnement soit porteur de développement, mais il faut aussi un minimum de conditions. Cependant, il faut aussi faire comprendre à ces populations que le développement se fait par lui-même, il faut le mettre en confiance. Tant que les populations ne sont pas mises en confiance, les actions des maires seront toujours limitées. Il ne doit pas exister de maire providentiel, il doit exister un maire manager. C’est un maire qui écoute les populations, qui essaye avec leurs concours de prendre en charge leurs préoccupations.


Crédit photo: WATHI

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