Gestion des revenus pétroliers et gaziers au Sénégal : trois propositions pour améliorer le projet de loi, Natural Resource Governance Institute, Février 2022

Auteurs : Papa Daouda Diene, Hervé Lado et Elimane Kane

Organisation affiliée : Natural Resource Governance Institute (NRGI)

Type de publication : Article

Date de publication : 8 février 2022

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* Les Wathinotes sont des extraits de publications choisies par WATHI et conformes aux documents originaux. Les rapports utilisés pour l’élaboration des Wathinotes sont sélectionnés par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au contexte du pays. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.


 

Avec deux importants projets pétroliers et gaziers—Sangomar et Grand Tortue Ahmeyim (GTA)—en cours de développement pour une mise en production en 2023 et un troisième (Yakaar Teranga) proche d’une décision finale d’investissement, le Sénégal continue à étoffer son arsenal juridique et institutionnel pour garantir une bonne gouvernance du secteur pétrolier et gazier. Les décisions prises en ce moment seront décisives pour que les citoyens sénégalais puissent bénéficier significativement de l’exploitation du pétrole et du gaz. Le 29 décembre 2021, le Conseil des Ministres du Sénégal a adopté le projet de loi relatif à la répartition et à l’encadrement de la gestion des recettes issues de l’exploitation du pétrole et du gaz.

Le projet de loi définit les modalités de gestion et de répartition des recettes issues de l’exploitation des hydrocarbures entre le budget national, un Fonds de stabilisation, et un Fonds intergénérationnel. Alors que l’Assemblée nationale se prépare à débattre de ce texte et que des textes d’application viendront ensuite préciser certaines dispositions, les parlementaires devraient envisager ces trois moyens de renforcer la loi sur la gestion des revenus d’hydrocarbures. Certains de ces points font écho à notre note d’analyse sur la gestion des revenus pétroliers et gaziers au Sénégal publiée le 14 décembre 2021.

Renforcer les mécanismes de transparence et de redevabilité dans la loi

Les systèmes de gestion des revenus sont plus efficaces et crédibles lorsqu’ils sont conçus de manière à permettre une surveillance étroite, qui peut protéger ces revenus des défis que représentent les fortes attentes des populations, les conflits d’intérêts et la corruption. Les constats ci-dessous traitent des mécanismes de transparence et redevabilité à ne pas perdre de vue :

  • Le projet de loi précise le rôle du ministre des Finances et du Budget dans le dispositif de suivi et de contrôle des recettes, destinataire des rapports d’activité trimestriels et annuels, des plans et programmes de travail, et des programmes de gestion des risques élaborés par les gestionnaires des Fonds. La proposition devrait toutefois exiger la divulgation publique de ces documents, car cela pourrait significativement renforcer la redevabilité en impliquant d’autres acteurs comme la société civile et les médias dans le suivi et le contrôle des recettes. Aussi, bien que la proposition spécifie de manière précise que l’Assemblée nationale est destinataire du rapport d’activité annuel, il n’est pas clair si ce rapport sera rendu public.
  • Les informations contenues dans les rapports trimestriels et annuels devraient être encadrés par la règlementation.
  • Le cadre règlementaire devrait aussi enjoindre le gouvernement de publier la liste des projets actifs, mais aussi la valeur totale des projets qui ont reçu des fonds pétroliers, leur date de début et d’achèvement prévue, et les détails relatifs aux entrepreneurs et leurs stades de mise en œuvre.
  • Le projet de loi devrait exiger des gestionnaires de fonds l’élaboration et la divulgation de codes de conduite pour contribuer à la protection contre les conflits d’intérêt, les risques excessifs, les frais trop élevés, entre autres. Le code de conduite du fonds norvégien en est un bon exemple.
  • Les deux comités d’experts et d’investissement mis en place jouent un rôle très important dans l’architecture de gestion des revenus pétroliers, en assurant respectivement l’intégrité des prix de référence et l’allocation stratégique des actifs pétroliers.
  • La loi n’aborde pas la politique de distribution des dividendes de PETROSEN qui est d’une importance capitale, et dont le manque de clarté expose le cadre des recettes à certains risques
  • La loi devrait ajouter la mise en place d’un organe de surveillance indépendant similaire au PIAC au Ghana, qui serait un comité multipartite de suivi et de redevabilité des revenus qui implique les gestionnaires des fonds et des représentants d’institutions publiques, de partis politiques, de la société civile et d’organisations professionnelles du secteur.

 

Clarifier la gouvernance des investissements des fonds souverains

Le projet de loi renvoie à un décret ultérieur les modalités de fonctionnement du comité d’investissement. Dans la mesure où ce comité jouera un rôle crucial dans le mécanisme de gestion des revenus, Il est important d’encadrer dans la loi au moins ses missions, et veiller à ce que son effectif, le mode de désignation des membres, les profils attendus, la durée et le renouvellement de leur mandat soient clairement spécifiés dans les textes d’application. Il est également important que les membres de ce comité soient soumis à l’obligation de divulgation de leurs patrimoines et intérêts, que plusieurs membres soient indépendants des parties prenantes du secteur dont l’Etat, et que les doctrines d’investissements des deux fonds soient publiées.

Les systèmes de gestion des revenus sont plus efficaces et crédibles lorsqu’ils sont conçus de manière à permettre une surveillance étroite, qui peut protéger ces revenus des défis que représentent les fortes attentes des populations, les conflits d’intérêts et la corruption

Aussi, le projet de loi ne précise pas si les investissements du fonds intergénérationnel doivent ou peuvent se faire dans le pays ou à l’étranger. Les revenus d’hydrocarbures peuvent être investis au niveau national, mais il est préférable que cela passe par le processus budgétaire et non à travers les fonds souverains. Bien que l’investissement domestique des recettes d’hydrocarbures ait d’importants avantages dans un contexte où les besoins en investissement sont élevés et où les populations exhortent le gouvernement à dépenser localement, cela exposerait le Sénégal à plusieurs risques comme observe dans des contextes comparables. Bien entendu, les fonds souverains peuvent être des investisseurs de dernier ressort en cas de crise comme c’est actuellement le cas avec la pandémie de COVID-19 dans plusieurs pays. La loi devrait alors interdire aux fonds souverains d’investir dans des actifs nationaux sauf approbation expresse de l’Assemblée nationale.

Donner la possibilité dans la loi d’adopter une règle de dépenses

Les autorités sénégalaises ont opté dans le projet de loi pour le respect d’un certain solde budgétaire hors ressources d’hydrocarbures pour chaque période de trois années. La cible sera établie dans le document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle pour chaque période.

La loi devrait offrir au moins la possibilité d’avoir une règle de dépenses publiques qui peut aussi bien être alternative que complémentaire à celui du solde budgétaire hors hydrocarbures pour mieux faire face à la volatilité des dépenses publiques

Cette règle permet aussi de contribuer à assurer la viabilité de la dette dans le temps et éventuellement soutenir l’équité intergénérationnelle. Toutefois, cette situation risque d’accorder une trop grande flexibilité au gouvernement qui peut excessivement creuser son déficit fiscal, surtout que la cible du solde budgétaire peut être établie sans l’approbation de l’Assemblée nationale.

La loi devrait offrir au moins la possibilité d’avoir une règle de dépenses publiques qui peut aussi bien être alternative que complémentaire à celui du solde budgétaire hors hydrocarbures pour mieux faire face à la volatilité des dépenses publiques.