Le département de Mbour : carrefour des litiges fonciers

Le département de Mbour : carrefour des litiges fonciers

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Le département de Mbour est une zone touristique importante au Sénégal et qui est marquée par une urbanisation à grande vitesse. A côté de cela, avec le développement de l’agro-business par des promoteurs privés, les effets des changements climatiques notamment la baisse de la pluviométrie et la dégradation des terres, tous les ingrédients sont réunis pour faire de Mbour un carrefour où se rencontrent plusieurs litiges fonciers.

Interpellés par l’impact de cette situation sur les paysans, les éleveurs et les populations locales, le Forum civil, en partenariat avec le Collectif pour la préservation et la valorisation des terres paysannes (CPVTP) a organisé les 10 et 11 septembre 2021 à Mbour le Forum d’intégrité pour la transparence foncière en s’intéressant à la situation des litiges fonciers dans le département de Mbour et les solutions à apporter pour arrêter cette hémorragie du foncier.

Cartographie des litiges fonciers dans les différentes communes du département de Mbour et les menaces

Depuis quelques années, les différentes communes du département de Mbour sont dépouillées de leur patrimoine foncier par des projets de l’État et des structures privées. De Séssène à Fissèle en passant par Ndiaganiao et Thiadiaye, les populations se sentent menacées car il ne leur reste presque plus assez de terres fertiles et l’extension des villages est devenue quasiment impossible pour des populations qui augmentent de manière considérable. Les différents acteurs du CPVTP ont présenté une cartographie non exhaustive mais qui apporte suffisamment de preuves sur l’expropriation des terres dans le département de Mbour. 

La cartographie nous a permis de faire l’état des lieux des litiges fonciers. La commune de Diass est située à 45 km de Dakar et est une subdivision administrative de l’arrondissement de Sindia. La commune est composée de 17 villages, habitée par une société traditionnelle et agricole.

A Daga-Kholpa, un projet de pôle urbain est initié par l’État et l’objectif est de construire 100 000 logements. Le projet est rejeté par les populations pour plusieurs raisons parmi lesquelles l’absence de communication de la part de l’État, la spoliation des terres et des irrégularités dans les démarches. En effet, les populations n’ont pas été informées pour comprendre le projet et mesurer les impacts, donc elles se sont senties exclues du processus de mise en œuvre. Ensuite, les terres concernées par le projet sont des terres utilisées pour l’habitat mais aussi pour les principales activités génératrices de revenus dans la zone notamment l’agriculture et l’élevage.

On a observé aussi que les autorités administratives ont déjà commencé à donner des parcelles à des corporations au détriment des populations autochtones. Un autre projet de l’État perçu comme une menace au patrimoine foncier est celui de la mise en place et de l’extension de l’Aéroport international Blaise Diagne (AIBD). L’AIBD a déjà clôturé 4000 hectares à Ngossekh et compte en rajouter 4000 autres pour un total de 8000 ha alors que la population locale avait délibéré officiellement pour 2601 hectares.

A Daga-Kholpa, un projet de pôle urbain est initié par l’État et l’objectif est de construire 100 000 logements. Le projet est rejeté par les populations pour plusieurs raisons parmi lesquelles l’absence de communication de la part de l’État, la spoliation des terres et des irrégularités dans les démarches

Il s’avère aussi que le futur port de Ndayane va dessaisir les paysans de Mbayard, de Raffo et de Samkedj du peu de terres arables dont ils disposent. En plus de ce désarroi, les habitants sont dans le flou car ne sachant même pas les limites de ce port.

Pendant ce temps, les populations de Sakirack dans le quartier de Diass sont prises entre l’enclume d’un déguerpissement pour le compte de l’AIBD et le marteau d’une expropriation de 31 ha pour l’APIX.

Au niveau de Bandia, 236 Ha de la forêt classée sont bradées à des fins d’exploitation de carrière en faveur des Ciments du Sahel (CDS) alors que la zone était utilisée par les habitants pour l’exploitation du miel et le parcours du bétail. Désespérées, les populations de Bandia ne réclament désormais qu’une partie de la forêt pour reboiser afin de se protéger de la poussière des carrières.

Avec 359 Ha occupés par Dangote Cement Senegal et 175 ha des Ciments du Sahel pour carrière d’argile, ces occupations affectent des champs de paysans sans leur accord. On ne peut manquer de signaler que la poussière des carrières a des impacts néfastes sur la culture de mangues et de manioc.

A Sindia, les paysans ne sont pas épargnés. Encore une fois, leur consentement ne compte même pas, c’est la raison pour laquelle ils ne sont même pas informés très souvent. C’est la coopérative « les résidences Sonatel » qui est confrontée à la population dans le village de Guéréo. Le litige est situé dans le site de « Ndombo 1 » et le promoteur est passé de 4 ha en 2015 à 150 ha en 2017 en prenant des terres autrefois exploitées par les paysannes. La même coopérative est impliquée dans un conflit foncier pareil dans le site de « Ndombo 2 ».

Si on pagaye aux alentours, on arrive à Joal-Fadiouth, une commune du département de Mbour, située à l’extrémité de la petite côte sud-est de Dakar, composée de deux villages qui sont Joal, plus grand, établi sur le littoral et Fadiouth une île d’amoncellement de coquillages reliés à la côte par un pont. Il y a une forte demande liée au foncier dans la zone de la part des populations qui veulent s’installer pour la pêche et des entreprises privées.

Depuis les années 2000, avec le programme de la Grande offensive pour la nourriture et l’abondance (GOANA) du président Abdoulaye Wade, la commune est envahie par de nouveaux lotissements, rattachements et extensions menant à des conflits entre agriculteurs et éleveurs et entre les membres de la communauté.

A Séssène, le principal conflit foncier ouvert concerne les populations contre un promoteur à Keur Yirim qui a voulu s’accaparer de quarante (40) hectares dans la zone pastorale qui se trouve entre les villages de Keur Yirim et Gorou. Finalement, le promoteur s’est contenté des huit (08) hectares délibérés par le conseil municipal à cet effet. La zone concernée se trouve être une aire où les éleveurs trouvent des difficultés à mettre leurs troupeaux en pâture.

Nous pouvons constater aussi que la commune de Saly fait l’objet de plusieurs convoitises vu son statut de ville touristique attrayante. Cette course vers Saly a naturellement des conséquences sur la gestion du foncier. Dès lors, cela ne surprend pas quand on remarque que sur l’ensemble des plaintes reçues par la Direction de la surveillance et du contrôle de l’occupation du sol (DSCOS) le tiers vient de Saly.

Rien qu’entre 2020 et 2021, on en compte 107. Ces conflits sont souvent causés par la modification du plan cadastral par des conseillers municipaux, la réduction des dimensions de certains terrains et des rues, l’alignement et le morcellement anarchique des parcelles par l’équipe municipale, les courtiers et les agences immobilières.

Si nous faisons un tour à Ngéniène, les villages de Ballabougou, Nguéniène peul, Ndiémane, les éleveurs se sont vus dessaisir de la seule zone où paissaient 20 000 bovins, sans compter les ovins, caprins et équidés. En effet, en 2009, une affectation de 150 ha a été faite pour la Société Promudel et en 2014, on en a rajouté 52 ha, puis 100 ha en 2016.

L’association des éleveurs Yaakar no Gaynaak en collaboration avec beaucoup d’associations de jeunes et avec l’appui de la société civile avait esté en justice. Le dossier avait atterri à la cour suprême qui a jugé le recours irrecevable du fait du non-respect des délais. Toutefois, le Préfet de Mbour a demandé au Sous-préfet de Sessène de suspendre les travaux.

L’association a aussi porté plainte contre le Maire et le dossier est en instance au niveau du tribunal d’instance de Mbour.

Ballabougou, Nguéniène peul, Ndiémane, les éleveurs se sont vus dessaisir de la seule zone où paissaient 20 000 bovins, sans compter les ovins, caprins et équidés. En effet, en 2009, une affectation de 150 ha a été faite pour la Société Promudel et en 2014, on en a rajouté 52 ha, puis 100 ha en 2016

Dans cette même zone, le projet Akon City a soulevé l’ire des paysans. Depuis la pose de la première prière le 31 Août 2020 et l’annonce des travaux durant le premier trimestre de l’année 2021, les travaux n’ont pas avancé et les paysans n’ont pas pu exploiter pendant tout ce temps les 55 ha. Vu qu’on n’a pas encore des informations claires sur les conditions de cession du foncier en relation avec les collectivités territoriales et les populations concernées, et que les populations courent encore derrière leurs indemnisations, ce projet est aussi sur les listes des expropriations foncières. Encore une fois, ce sont de pauvres paysans qui sont impactés et laissés à leur sort.

Au niveau de Fissel, les conflits fonciers surviennent particulièrement durant l’hivernage et sont liés à l’agriculture. Ce sont des problèmes liés à l’occupation, à la délimitation et à l’identification des parcelles. Ces tensions opposent souvent les membres d’une même famille ou des voisins qui se disputent des terres suite à des prêts, location ou hypothèque. La zone de Mbafaye et notamment les villages de Sop et Ndoung sont les plus confrontés aux conflits fonciers.

Cette cartographie très informée malgré la non-exhaustivité permet de voir que les paysans, les éleveurs et les populations locales sont les principales victimes des opérations d’expropriation des terres et que souvent, même si des indemnisations sont prévues, les suivis ne sont pas rigoureux pour que les promesses soient suivies d’actes.

Il y a des actions qui sont menées avec des associations au niveau local et les principales actions menées sont les saisines et rencontres avec les autorités administratives du département, les mobilisations de résistance sur le terrain avec le blocage des travaux des services techniques, les points de presse et les marches.

Solutions pour arrêter l’hémorragie de la spéculation foncière

Des pistes de solutions sont dégagées pour améliorer la gouvernance foncière dans ces localités.

Il est important d’encourager les associations locales de préservation et de valorisation des terres à sensibiliser les populations à arrêter la vente des terres et préciser que le domaine national est réservé aux cultures et à l’élevage.

Le paradoxe c’est qu’en dilapidant les terres à vils prix à des investisseurs privés, les vendeurs reviennent être les ouvriers dans les champs qu’ils ont vendus. Vu qu’il y a plusieurs plaintes classées sans suite, le renforcement des capacités des membres des associations est une nécessité pour améliorer leurs aptitudes à faire un suivi rigoureux des dossiers administratifs et juridiques et la défense des intérêts des populations.

Pour éviter des conflits entre des communautés qui ont vécu des centaines d’années ensemble et qui partagent les mêmes réalités socio-culturelles, le dialogue entre les familles, les autorités administratives et locales doit être la base pour la prévention et la résolution des litiges fonciers.

Parfois, on constate des sites qui appartiennent à deux communes à la fois. Donc il est important de rendre public la délimitation de chaque commune et si possible établir des barrières physiques comme des balises.

Il y aussi les affectations multiples des parcelles à usage d’habitation. Un seul terrain peut être vendu à plusieurs personnes à la fois. Sur ce point, il faut sécuriser les registres administratifs et publier les plans de lotissement. Cette publication contribuera à renforcer la transparence dans la gouvernance foncière.

Les éleveurs et les agriculteurs sont les couches les plus touchées par le phénomène. Il faut prévoir dans la gestion foncière, des parcours du bétail et des moyens de protection des champs de cultures. Par rapport aux projets d’agro-business et industriels, bien communiquer sur les conséquences environnementales afin de permettre à la population de se positionner avec des conditions qui lui évitent d’être lésées plus tard.

Cette cartographie des litiges fonciers nous permet de retenir que le département de Mbour est une perle sur un volcan foncier dormant. Des mesures urgentes doivent être prises avec une inclusion de toute la chaîne de valeur foncière et en considérant au cœur des processus les populations qui y vivent et y exercent des activités génératrices de revenus. Les populations ont un besoin légitime de protéger les terres d’habitation, de culture et d’élevage pour préserver leur prospérité et leur dignité, donc il demeure fondamental de mieux encadrer le secteur pour préserver ces populations des actes de désappropriation arbitraire et d’agressions de l’environnement.

Ces terres ont, aux yeux des populations locales, au-delà de leur caractère matériel, une dimension symbolique, culturelle et cultuelle car étant héritées des ancêtres, et transmises de génération en génération. Par conséquent, la préservation et la valorisation des terres est d’une manière ou d’une autre un moyen de restituer une mémoire, de sauver le rapport identitaire que la personne entretient avec la terre.

 


Crédit photo : Seneweb

 

Pathé Dieye

Pathé Dieye est chargé de recherche et de projet à WATHI. Il s’intéresse aux questions de conflits, paix et sécurité dans le Sahel et à la prospective. Titulaire d’un Master 2 en Science politique mention relations internationales. Il est blogueur et anime son site “Silence des rimes”. Il est aussi écrivain et son premier roman est intitulé “J’ai écrit un roman, je ne sais pas de quoi ça parle…” .

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