Perception citoyenne sur l’état de la démocratie et la gouvernance au Sénégal, Gorée Institute, 2021

Auteur: Gorée Institute

Date de publication: Mars 2021

Site de l’organisation: Gorée Institute

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Gouvernance politique et démocratique

Le Sénégal serait-il « une démocratie ‘’ancienne’’ en mal de réforme» ou « une démocratie du phénix ?»Sa maturité supposée ou réelle a-t-elle permis ou favorisée l’instauration d’une démocratie constitutionnelle ? Cette dernière, la démocratie constitutionnelle, entendue selon l’acception de Dominique Rousseau pour qui, elle « définit un au-delà de la représentation non parce qu’elle la supprimerait mais parce qu’elle la transforme et élargit l’espace de participation populaire en inventant des formes particulières permettant à l’opinion d’exercer un travail politique : le contrôle continu et effectif, en dehors des moments électoraux, de l’action des gouvernants». Si du point de vue académique les résultats des travaux de recherche semblent s’accorder sur la vitalité de la démocratie sénégalaise en dépit de quelques marges de régression, quid de la perception citoyenne ? En effet, l’avènement de la deuxième alternance politique en 2012 à la suite de vives tensions politiques avait suscité une ferveur démocratique globale. Depuis, les contre-performances démocratiques des dirigeants actuelles ont fini par installer, d’une part, un climat de désillusion doublé d’un sentiment qu’ils sont ‘’tous pareils’’ et, d’autre part, de la défiance, des récriminations assourdissantes et des contestations à basse intensité. Les résultats de l’enquête réalisée dans le cadre de cette étude sur la perception citoyenne mesurent l’état de l’opinion sur la question. Les résultats de l’enquête de perception citoyenne révèlent que 73% des répondants sont d’avis que le Sénégal est bien une démocratie constitutionnelle, tandis que 21% sont d’un avis contraire. L’opinion citoyenne dominante est donc que le Sénégal est une démocratie constitutionnelle.

L’opinion largement dominante sur la réalité de la démocratie constitutionnelle au Sénégal est relativement contrariée par les 42% des enquêtés qui pensent que les réformes constitutionnelles déconsolident la démocratie sénégalaise. En revanche, 39% des répondants estiment que les réformes constitutionnelles consolident la démocratie. En prenant repère la révision constitutionnelle n°2016-10 du 05 avril 2016 dite la réforme des « 15 points » qui touchait 18 articles de la loi fondamentale, dix (10) des quinze points étaient largement consensuels.

La modernisation des partis politiques au Sénégal charrie également de multiples questions liées à la gouvernance des formations partisanes. Il en est ainsi des questions liées, entre autres, à l’opacité des financements, au renouvellement de l’élite, à l’élasticité et la volatilité même des partis. En effet, s’agissant de l’opacité des financements des partis politiques, plusieurs facteurs explicatifs peuvent être relevés : la faible organisation interne des partis politiques, la désincarnation, le clientélisme alimentaire en défaveur du vrai militantisme, l’absence de contrôle sur pièce et sur place des finances des partis, la vie satellitaire ou cartellisée de la plupart des formations politiques (la facilité et l’aisance des ralliements à la mouvance présidentielle pour bénéficier des prébendes et privilèges). La création des partis politiques au Sénégal résulte majoritaire d’une scission qui trouve son fondement dans des frustrations nominatives ou à l’écartement de la gestion publique. Elle résulte également d’une volonté des entrepreneurs politiques d’infiltrer l’appareil étatique au travers d’une nomination de récompense suite à un ralliement. L’interpénétration constatée entre les structures partisanes et étatiques. L’ultime but demeure ainsi l’admission dans le cercle restreint de la classe dirigeante. A ce titre, les partis de la mouvance au pouvoir deviennent des satellites ou des partis cartellisés. La formation partisane réellement dépositaire du pouvoir est facilement assimilable à ce que la politologie appelle sous le vocable de parti-attrape (catch-all party). Ce phénomène est moins caractéristique des formations partisanes concurrentes. En effet, il relève de la volonté de conservation du pouvoir. Les éléments qui précédent expliquent en même temps les raisons liées à l’absence de renouvellement des élites au sein des partis, à la gestion patrimoniale des partis politiques y inclus des finances, ainsi que l’élasticité et la volatilité.

Gouvernance administrative

En effet, au Sénégal nous remarquons la présence dans les plus hautes sphères de l’Etat des nominations politiques. La quasi-totalité des ministères est dirigée par des personnes proches ou des camarades de parti du Président de la République. Cette présence politique s’explique par le fait que le parti au pouvoir, à travers ses partisans nommés, veut avoir une mainmise sur les ressources étatiques et sur les dossiers importants. Tous ces aspects précités expliquent le point de vue des 65 % des enquêtés qui estiment qu’il y a une politisation dans l’administration publique au Sénégal. Cependant, il faudrait faire une distinction entre le politicien ministre ou directeur et les fonctionnaires qui travaillent pour l’administration. La présence des partisans du parti au pouvoir dans l’administration ne doit plus être un débat. Il faudrait qu’il y ait une différenciation entre le parti et l’administration pour que chaque citoyen puisse bénéficier et participer à la bonne marche de l’administration du pays. Au Sénégal, les procédures de recrutement et de promotion dans la fonction publique ont toujours été problématiques et énigmatiques. Beaucoup affirment que les recrutements ne sont pas transparents. Plusieurs sénégalais ont déposé leurs dossiers et des numéros leur sont attribués. Depuis des années, leurs dossiers sont classés sans suite et aucune information ne leur ait délivrée. Alors que d’autres font l’objet de recrutement sans passer par la voie normale. Au cours de l’enquête, 66 % des enquêtés sont d’accord sur le non-respect et la non transparence des procédures de recrutement et de promotion dans la fonction publique sénégalaise.

La modernisation des partis politiques au Sénégal charrie également de multiples questions liées à la gouvernance des formations partisanes. Il en est ainsi des questions liées, entre autres, à l’opacité des financements, au renouvellement de l’élite, à l’élasticité et la volatilité même des partis

Le fonctionnement de l’administration publique doit reposer sur beaucoup de paramètres dont la clarté et la qualité du service offert aux citoyens. Pour ces raisons, il faut évaluer le système proposé aux usagers en prenant en compte leurs préoccupations et c’est seulement cela qui pourra permettre de tendre vers une administration transparente et proche des citoyens. Dans la poursuite de cet objectif, l’adoption d’une loi sur l’accès à l’information apparait comme une exigence de premier ordre. Le Sénégal pourrait à cet égard s’inspirer de la loi type sur l’accès à l‘information en Afrique adoptée par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), en collaboration avec Open Society Justice Initiative (OSJI). L’éducation au Sénégal dans toutes ses formes est gérée par plusieurs ministères dont le ministère de l’Education Nationale, le ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de la Rénovation, le ministère de la Femme, de la Famille, du Genre et de la Protection des enfants. Tous ces ministères établissent des politiques publiques en faveur de la population bénéficiaire. Cependant, des écarts sont notés sur le service qui est offert. Une enquête de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) montre que les performances ne sont pas encourageantes du fait de certains dysfonctionnements relevés dans la délivrance des services par l’administration sénégalaise. Ces dysfonctionnements sont à l’origine des contre-performances. En effet, il apparaît que la gestion de l’éducation est décentralisée c’est-à-dire il y a une gestion participative des ressources et des services délivrés. Cette gouvernance permet à tous les acteurs de s’impliquer dans la gestion à travers des missions et des attributs qui leurs sont conférés. Cependant, ce type de gestion peut sembler intéressant car beaucoup d’acteurs y participent mais l’offre de services ne garantit pas une gestion transparente. Il serait bien d’évaluer, de temps à temps, la gestion et l’offre tout en promouvant une bonne coordination dans les activités et les actions.

Gouvernance Locale:

Le Sénégal a connu plusieurs étapes dans son long processus de décentralisation, lequel vise à déboucher sur une démocratie et une gouvernance locale. Mais ce n’est qu’en 1996 qu’une véritable réforme, audacieuse et ambitieuse, a été enclenchée. En effet, le président de la République d’alors, Monsieur Abdou Diouf, résumait l’esprit de la réforme de 1996 en deux mots : « liberté et proximité ». En 2013, la deuxième alternance a poussé le bouchon plus en profondeur en adoptant ce qui est communément appelé l’Acte 3 de la décentralisation. Ce dernier présente plusieurs écueils et ses résultats, encore mitigés, peinent à prendre ancrage dans la réalité sociopolitiques des différentes collectivités territoriales. La gestion transparente, participative et efficace des collectivités territoriales est loin de constituer un objectif inatteignable. Le label certification citoyenne de la bonne gouvernance a été accordé à vingt cinq (25) collectivités locales dans le cadre d’un programme conjoint du Forum Civil et d’Enda Graf. La certification citoyenne reposait sur cinq (5) principes que sont l’efficacité, l’équité, la participation, l’obligation de rendre compte et la transparence. Une telle initiative mérite d’être généralisée. Au lendemain de sa réélection à la magistrature suprême en 2019, le Président Macky Sall ambitionne de faire de la territorialisation des politiques publiques le nouveau paradigme de sa gouvernance dans le cadre de la mise en œuvre du Plan Sénégal Emergent (PSE). Dans ce cadre un « Programme d’actions prioritaires (PAP) 2019-2023 du PSE » a été mis en place avec comme ambition un Sénégal avec « Zéro déchet », « Zéro bidonville » et la reforestation des terroirs. Il est également prévu le renforcement de la décentralisation du budget de l’Etat réservé à la construction des infrastructures scolaires aux communes et départements ainsi que la construction au niveau de tous les départements des maisons de jeunes et de la citoyenneté pour aider la jeunesse à mettre en valeur ses talents artistiques et autres. Il s’agit également de favoriser l’accès à certains services de base, comme l’électricité, l’eau, l’assainissement, la santé pour ne citer que cela à l’horizon 2024. On peut dès lors estimer que la territorialisation des politiques publiques devrait aider au rapprochement des populations aux institutions et à leurs gouvernants. En effet, elle postule la fin d’une gestion centralisée des projets de développement à travers notamment les ministères et autres agences directement rattachées à la présidence de la République.

Au Sénégal, les procédures de recrutement et de promotion dans la fonction publique ont toujours été problématiques et énigmatiques. Beaucoup affirment que les recrutements ne sont pas transparents

Gouvernance Économique:

La majorité, soit 39 % des personnes enquêtées, considère que l’élaboration du budget de l’Etat n’est pas participative. 34 % des enquêtés sont incapables de dire si l’élaboration du budget était ou non participative. Seuls 27 % des enquêtés considèrent que l’élaboration du budget est participative. Ces résultats sont restés constants quelle que soit la tranche d’âge considérée à savoir les moins de 35 ans ou les plus de 35 ans. Avec des taux respectifs de 53 % et 49 %, il apparaît qu’il y a plus d’hommes que de femmes à penser que l’élaboration du budget n’est pas participative. Toutefois, la majorité des femmes pense que l’élaboration du budget n’était pas participative. La perception de la participation n’est par conséquent pas tributaire du sexe. En revanche, elle semble liée au niveau d’études. En effet, la perception négative reste plus élevée chez les personnes ayant un certain niveau d’études. Les enquêtés du niveau du secondaire, du lycée ou du supérieur avec des taux respectifs de 54 %, 52 % et 52 % ont ainsi estimé que l’élaboration du budget n’était pas participative. Le fort taux de personnes qui estiment que l’élaboration du budget n’est pas participative s’explique en partie par leur conception de la participation. Certains enquêtés soulignent n’avoir jamais été consultés alors que l’Etat considère que la participation citoyenne se fait à travers les députés qui sont les représentants du peuple dans le cadre du débat d’orientation budgétaire entre l’Etat et l’Assemblée Nationale. Par ailleurs, le budget est validé par cette dernière à travers le vote de la loi de finances de l’Etat. Il y a lieu de souligner que cette conception de la participation est conforme à la Constitution qui confie au Président de la République la détermination de la politique de la Nation et définit les collectivités territoriales comme le cadre institutionnel de la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques. Le pourcentage important de personnes dans l’incapacité d’apprécier le caractère participatif de l’élaboration du budget révèle un déficit de communication entre les députés et leurs mandats et surtout entre l’Etat et les citoyens. L’adoption du budget programme qui met l’accent sur les services livrés aux citoyens requiert que la participation citoyenne à l’élaboration soit élargie pour une meilleure prise en charge de leurs préoccupations. Il reste que la participation directe de l’ensemble des citoyens n’est pas envisageable. L’élargissement de la participation citoyenne à l’élaboration du budget pourrait consister dans la consultation d’associations et d’organisations de la société civile.

 

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