Ndèye Seyni Touré, Entrepreneure: « A Podor, certains hommes ne croient pas que les filles doivent aller à l’école et ceci favorise le mariage précoce »

Les entretiens de WATHI – Les régions du Sénégal – Focus Saint-Louis

Ndèye Seyni Touré

Originaire du Saloum, Ndeye Seyni Touré Faye est la coordonnatrice du Réseau des femmes pour l’entrepreneuriat et le développement local (REFED) situé dans la région de Saint-Louis. L’organisation compte 30.000 membres et couvre les trois départements que sont Podor, Dagana et Saint-Louis.

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Extraits

Dans les départements très éloignés des zones urbaines comme Podor ou Dagana, est-ce facile pour les femmes d’entreprendre?

Ce n’est pas quelque chose de très facile. D’ailleurs, c’est ce qui m’a motivée à créer ce réseau. Indépendamment de ce réseau, je travaille dans une société de la place qui est situé dans la région. Mais je vois que les femmes sont confrontées à d’énormes difficultés. Il y a certaines qui ont accès aux terres, qui peuvent cultiver, qui peuvent quand même gérer leurs activités génératrices de revenus. Mais, il est dommage que d’autres ne puissent pas avoir cette possibilité-là parce que, premièrement, l’accès à la terre est très difficile. Le foncier pose problème.

Deuxièmement, comme c’est une zone où l’agriculture est très développée, j’ai essayé de travailler avec les structures de base qui s’activent dans l’agriculture. Nous avons essayé de trouver des activités à ces femmes pour qu’elles puissent s’autonomiser un peu. On parle beaucoup de l’autonomisation de la femme, mais j’avoue que dans cette localité, les femmes ne sont pas autonomes du tout. Le matin, Nous voyons les femmes  prendre leurs enfants, aller dans les champs de 7h du matin, à 15h elles y sont toujours pour pouvoir assurer leur alimentation, c’est un problème.

Je me suis dit qu’on va essayer de les organiser en Groupements de promotion féminine ( GPF). Nous essayons de leur chercher d’abord des sessions de formation pour renforcer leurs activités. Après ces sessions de formation, nous leur cherchons des financements avec des partenaires locaux, internationaux, etc. Une fois ces financements acquis, nous les aidons, nous les accompagnons pour qu’elles puissent avoir quelque chose à mettre sur la table.

Quels sont les secteurs dans lesquels il faudrait encourager les femmes à entreprendre dans le Nord-est du Sénégal?

Le secteur de l’agriculture. Il y a la pêche aussi parce qu’on a commencé à développer la pisciculture. A Saint-Louis ville, il y a des poissons. Mais il y a des endroits comme Démette, voire un peu partout dans le département de Podor, l’accès au poisson est très difficile. On a donc essayé d’intégrer des structures pour faire un peu de pisciculture afin de les aider dans cette activité.

Dans cette localité, les femmes ne sont pas autonomes du tout. Le matin, nous voyons les femmes prendre leurs enfants, aller dans les champs à 7h du matin, à 15h elles y sont toujours pour pouvoir assurer leur alimentation, c’est un problème

Vous avez parlé de la ville de Saint-Louis où le secteur de la pêche est très développé. Un autre secteur qui y est important est le tourisme. Est-ce que le potentiel est similaire dans le reste de la région? Les femmes de Podor mènent-elles beaucoup d’activités liées au tourisme?

Pas trop, cela ne marche pas trop. Je vois certaines qui le font, mais cela ne marche pas trop. Parce que c’est une activité périodique… Quand c’est ouvert, tu vois des touristes venir, tu vends petit à petit, mais moi je pense qu’il faudrait mieux orienter les femmes, les aider dans ce secteur. Si on les oriente mieux, cela pourrait marcher.  Des boutiques vendent des objets d’art, mais cela ne marche pas trop.

Les femmes qui portent des projets d’entrepreneuriat sont-elles accompagnées par le secteur privé et la société civile?

Pas trop. Je me dis qu’au Sénégal, les femmes n’ont pas trop d’informations sur les mécanismes d’accompagnement. Au Sénégal, il y a des structures de base qui sont présentes, il y a des possibilités de financements , mais il y a un problème de communication. Les femmes ne le savent pas. Il y a un problème d’organisation. Quand on n’est pas organisé, on n’a pas de reconnaissance juridique, on n’a rien…  Avoir un financement devient très difficile.

De plus, la zone est un peu enclavée. Même pour s’y rendre c’est tout un problème. Durant la saison des pluies, la route peut connaitre des désagréments, tu peux faire jusqu’à deux jours pour voyager. Mais, nous sommes des actrices, nous sommes des battantes, ce sont nos sœurs et toutes les femmes se valent au Sénégal.

Comment faire alors pour encourager les femmes à développer des activités économiques dans ces zones enclavées et peu accessibles? N’y-a-t-il pas un rôle à jouer pour la politique dans ce sens?

Il faudrait peut-être renforcer la communication. Se déplacer, sortir de la ville, aller à la rencontre de ces dames-là. . Le problème, c’est d’atteindre les zones les plus reculées, les femmes qui y habitent souffrent. Donc, il faut aller vers ces dames-là, les sensibiliser, leur faire comprendre qu’elles sont les mêmes prédispositions que les femmes qui en sont en villes.

Vous savez la politique, j’ose dire qu’elle ne cible pas les véritables acteurs. Dans chaque zone, il y a des politiques qui sont là-bas, mais le problème, c’est qu’on ne met pas les gens qu’il faut à la place qu’il faut. Je ne veux pas trop me prononcer sur le sujet parce que c‘est assez sensible. Mais j’avoue qu’il y a un problème avec les politiques parce qu’on a plus politisé les choses plutôt que d’aller aider les gens qui en ont vraiment besoin . Et puis, on ne les voit qu’en période électorale. Mais après cette période, si les gens meurent, ce n’est pas leur problème et moi je pense que l’État doit revoir tout cela quand même.

Quelle est la situation de l’éducation des jeunes filles dans les zones reculées de la région de Saint-Louis?

Pour les jeunes filles, c’est un peu compliqué parce que jusqu’au moment où je vous parle, le taux de scolarisation des filles pose problème dans ces localités. En 2019,  il y a des hommes qui ne croient même pas qu’une fille doit aller à l’école et ceci favorise le mariage précoce. Moi qui travaille à Podor, il y a des filles de 10 ans voire 12 ans que je vois personnellement être données en mariage et cela a un impact sur le taux de mortalité des filles. Donc moi, je dirais que c’est un véritable fléau.

On a plus politisé les choses plutôt que d’aller aider les gens qui en ont réellement besoin

Le Sénégal a certes connu des avancées sur la question de la scolarisation des filles , mais il reste à faire.  Le mariage précoce chez les jeunes filles pose problème et le taux de scolarisation des filles est trop minime par rapport aux garçons. Je donne un exemple : là où je travaille, on a initié des cours dans des salles de classe. On a pris des bâtiments désaffectés qu’on a rénovés. On a regardé les femmes du village, les filles qui sont là-bas, on les a recueillies personnellement et on est allé rencontrer l’inspection, ils nous ont envoyé deux enseignants. Nous, au niveau de la société, nous avons cotisé pour avoir  des tables-bancs, des craies, etc., pour que ces filles puissent être scolarisées.A chaque fois, des filles viennent dans mon bureau en me disant : «Mme Faye, j’ai besoin de stylos, de cahier, etc.» Aujourd’hui, elles commencent à apprendre l’alphabet, c’est une avancée. Aujourd’hui, si d’autres acteurs prenaient ce type d’initiatives, je pense qu’il n’y aurait plus de problème dans ce pays.

Le mariage précoce chez les jeunes filles pose problème et le taux de scolarisation des filles est trop minime par rapport aux garçons

A part les problèmes d’alphabétisation et de mariage précoce, quels sont les défis les plus importants auxquels ces filles font face?

Il y a le problème de la santé. Certes, l’État est en train de construire beaucoup de postes de santé, mais il y a des zones enclavées où les gens ne sont pas familiers des hôpitaux. Il arrive que lorsqu’un enfant tombe malade, on lui donne des médicaments traditionnels et au bout de quelque temps il décède.  J’ai vu ce type de cas.  Il y a également un problème de santé pour les jeunes filles.

Globalement, nous constatons qu’il  y a beaucoup de problèmes. il y a le travail des enfants. Vous voyez des enfants qui n’ont que 11 ans et on les emploie dans une maison pour faire les travaux domestiques. Les enfants sont obligés d’aller travailler dans les maisons dès le bas âge pour aider leurs parents à subvenir aux besoins. J’ai vu des filles de 9 ans, 8 ans à qui on demandait de faire des choses extrêmes. Elles prennent des bassines d’eau qu’elles transportent sur des kilomètres. Cela peut rapidement détériorer leur santé.

 


Source photo : Watu Digital Lab

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