Scolarisation des filles au Sénégal : entre progression et ruptures, Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), Faculté des sciences et technologie de l’éducation et de la formation (FASTEF), Décembre 2021

Auteurs : Rokhaya Cissé, Soufianou Moussa, Abdou Salam Fall

Site de publication : UCAD

Type de publication : Article

Date de publication : Décembre 2021

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Introduction

Sur le plan éducatif, rappelons que le Sénégal fait partie des cinq pays qui affichent le plus faible taux brut de scolarisation des filles estimé à 87,9%.  Des    disparités entre garçons et filles par rapport au taux d’achèvement scolaire persistent et résultent, entre autres, du phénomène des mariages et des grossesses précoces.  Néanmoins, au Sénégal comme dans de nombreux pays en Afrique, la parité filles-garçons dans les systèmes éducatifs en Afrique s’est globalement améliorée pendant les deux dernières décennies au primaire et au moyen. Néanmoins, des insuffisances notoires persistent et il importe de les dégager de manière fine et de proposer des solutions pour les pallier pour un accès et évolution à l’école équitable.

Historique de la scolarisation des filles au Sénégal

Les premiers établissements pour les filles ont été créés au Sénégal avec les congrégations religieuses à partir de 1817. Il a fallu attendre 1938 pour assister à la création à Rufisque de l’École Normale de formation d’élèves institutrices alors que celle des garçons avait été ouverte dès 1903, soit 35 ans auparavant. La première réforme pour encourager le recrutement des filles dans les établissements scolaires date de 1930. Il faut dire qu’entre 1930 et 1950, la scolarisation des filles était loin des préoccupations de l’administration coloniale. Les États Généraux de l’Éducation, convoquée en 1981constitue un tournant majeur. L’objectif majeur visait le passage de l’école coloniale en une école adaptée aux réalités socioculturelles du Sénégal longtemps marginalisées par le système éducatif colonial et postcolonial.

La scolarisation des filles a été déclenchée avec la mise en œuvre du programme de Développement des Ressources Humaines et la création du projet SCOFI avec le soutien de la Banque Mondiale.

Une nouvelle ère s’ouvre avec le programme de Développement de l’Éducation et de la Formation (PDEF) qui institutionnalise la scolarisation des filles en tant qu’indicateur de l’accès et la qualité de l’éducation.

Le Programme d’Appui à la scolarisation des filles (PAEF) est un projet pilote du Cadre de coordination des interventions sur la scolarisation des filles, qui relève d’une approche holistique.

La deuxième phase de ce projet, intitulé PAEF-Plus (2014-2018) va plus loin en   mettant   le   focus   sur l’implication plus systématique des acteurs communautaires afin de lever les barrières et réaliser une école inclusive des filles.

Résultats

L’enseignement élémentaire ou primaire :  le défi de la parité est relevé

L’effectif de la demande scolaire des filles s’est accru de 4,6% entre 2017 et 2018 alors que celle des garçons (dont l’effectif est passée de 1 229 767 en 2017 contre 1 264 823 en 2018, s’est accrue juste de 2,9%).  En d’autres termes, la demande scolaire au primaire est plus tirée vers le haut par une croissance plus rapide de sa composante associée aux filles.

Au cours des dix dernières années, le taux brut de scolarisation (TBS) au primaire de la fille a progressé au Sénégal passant de88,6% en 2008 à 92,6% en 2018 soit un accroissement en valeur absolue de +4%. De ce fait, l’indice de parité a ainsi progressé de 1,07 en 2008 à 1,15 en 2018 en faveur des filles. Sur la même période, on constate le TBS des garçons a quant à lui régressé passant de 82,6% en 2008 à 80,4% soit -2,2 points de pourcentage.  En fait, alors que le TBS des filles enregistrait des progrès continus, celui des garçons baissait sauf en 2014 et en 2017.  L’essor de la scolarisation de la fille est le fruit de politiques lancées par le pays avec l’appui de ses partenaires durant les deux dernières décennies.

Le niveau élevé de TBS des filles en 2018 au plan national cache des disparités non négligeables entre les régions. Ainsi, l’accès à l’élémentaire des filles reste faible dans les régions de Kaffrine (55,3%) et de Diourbel (66,3%) comparativement   au   niveau   le   plus   élevé   observé   à Kédougou (111,9%).  Le faible accès au système scolaire dans ces deux régions peut être expliqué par une forte présence de daara (écoles coraniques) en termes d’offre éducative :  les enfants, filles ou garçons, fréquentent relativement plus un autre type de lieu d’apprentissage que l’école formelle.

L’effectif de la demande scolaire des filles s’est accru de 4,6% entre 2017 et 2018 alors que celle des garçons (dont l’effectif est passée de 1 229 767 en 2017 contre 1 264 823 en 2018, s’est accrue juste de 2,9%).  En d’autres termes, la demande scolaire au primaire est plus tirée vers le haut par une croissance plus rapide de sa composante associée aux filles

L’enseignement moyen général : un accès plus accru mais des disparités régionales persistantes

Selon    les données de DPRE (2019 et 2018), la demande potentielle d’éducation au moyen de 1 407308 enfants au total en 2017 à 1 458 550 en 2018 soit une progression annuelle de 3,5%.  Chez les filles, les chiffres sont respectivement de 683 179 en 2017 et 715 275 en 2018 soit une hausse de 4,5% ; soit un accroissement plus important que pour l’ensemble des enfants traduisant une progression plus forte chez les filles que chez les garçons.

Le TBS au moyen général des filles a fortement progressé entre 2008 et 2018 passant   de 36,5   en   2008   à   53,3%   en   2018   soit   une   hausse   brute   de 16,8%.    Sur la même période, le TBS au moyen général pour les garçons ne s’est accru que de 2,8%.  Le retournement de situation en faveur des filles s’est déroulé en 2011 et depuis l’accès des filles à l’école est restée chaque année supérieure à celle des garçons.

Le TBS au moyen général des filles (53,3%) est supérieur à celui des garçons (45,9%). Cette performance est observée dans toutes les régions à l’exception de Kédougou (45% chez les filles et 56,6% chez les garçons), de Kolda (37,9 %chez les filles contre 41,6% chez les garçons) et Sédhiou (48,4% chez les filles et 55,4 % chez les garçons).

La fréquentation au moyen général chez les filles présente des écarts très importants entre les régions.  Ainsi, le TBS au moyen général chez les filles varie de 93,1% à Ziguinchor à 22,3% à Kaffrine.

Selon les données de DPRE (2019 et 2018), la demande potentielle d’éducation au moyen de 1 407308 enfants au total en 2017 à 1 458 550 en 2018 soit une progression annuelle de 3,5%.  Chez les filles, les chiffres sont respectivement de 683 179 en 2017 et 715 275 en 2018 soit une hausse de 4,5% ; soit un accroissement plus important que pour l’ensemble des enfants traduisant une progression plus forte chez les filles que chez les garçons

Quant au taux d’achèvement, il est plus important chez les filles que chez les garçons dans toutes les régions du pays. Dans l’ensemble, les données de 2018 montrent qu’une fille a 39,4% de chance de finir le moyen général contre 33,1% chez les garçons.

L’enseignement secondaire général : le maintien des filles en cause

Le TBS chez les filles au secondaire est resté longtemps inférieur à celui des garçons. Bien que le TBS des filles affichait une progression nette et continue depuis 2008, il a fallu attendre 2017 pour que la tendance se renverse. Ainsi, en 2008, le TBS chez les filles au secondaire était de 13,3% contre 18,7% chez les garçons soit un indice de parité de 0,71 en défaveur des filles. En 2017, le TBS des filles atteignait 34,6% alors que celui des garçons était de 33,7% ce qui correspond à un indice de parité de 1,03 traduisant un léger avantage pour les adolescentes en âge d’aller secondaire.  Les chiffres de 2018 (34,6% pour les filles et 33,1% chez les garçons soit un indice de parité de 1,05 pour les filles) tendent à soutenir la persistance de l’avantage pour les filles mêmes si son évolution semble modeste.

A côté de cette tendance marquée par un léger avantage des filles dans l’accès au secondaire depuis 2017 au plan national, il existe des fortes différences entre les régions en la matière

En 2018, les données de DPRE (2019) montrent qu’au plan national les filles et les garçons ont eu la même chance (27%) de terminer leur cycle secondaire. L’analyse des chiffres régionaux montre toutefois des différences notables entre les régions.

Discussion

La littérature au Sénégal met en relief une progression de l’accès des filles à l’école depuis les années 90 mais également de nombreux facteurs qui bloquent l’évolution des filles dans l’enseignement moyen et secondaire.  Il en ressort que les politiques éducatives ont mis davantage l’accent sur l’accès à l’éducation, option qui a affecté la qualité et renforcé les inégalités entre différentes franges de la société et particulièrement les filles. Cela est perceptible dans la typologie des interventions sur l’éducation des filles qui ont visé principalement la sensibilisation/mobilisation sociale pour l’enrôlement massif des filles, l’octroi de bourses et équipements pour les filles, la sensibilisation pour l’orientation des filles dans les filières scientifiques et enfin le suivi du recrutement et des affectations d’enseignantes dans les écoles.

Il faut rappeler que ces politiques et interventions ont été très influencées par les recommandations des conférences internationales et régionales qui ont inscrit la scolarisation des filles comme priorité.  Cependant, force est de constater que dans la pratique, l’équité de genre n’est pas toujours garantie dans l’ensemble du système éducatif.

L’environnement social et familial des filles se traduisant par les résistances des parents face à l’offre éducative est également mis en cause.  Celles-ci ont trait aux représentations des parents sur l’école comme une menace pour la préservation des valeurs et coutumes traditionnelles. De plus, le maintien des filles à l’école n’est pas un impératif et n’est pas important pour l’avenir de la fille. Les mariages et grossesses précoces, l’éloignement des établissements scolaires, les travaux domestiques ou la mise au travail de façon précoce sont autant de facteurs de rétention des filles à la maison.

En 2018, les données de DPRE (2019) montrent qu’au plan national les filles et les garçons ont eu la même chance (27%) de terminer leur cycle secondaire. L’analyse des chiffres régionaux montre toutefois des différences notables entre les régions

Il existe dès lors plusieurs barrières liées à l’offre et à la demande de services éducatifs. En effet, on peut citer l’enclavement géographique des écoles et l’insuffisance d’équipements qui ne prennent pas toujours en compte la spécificité de la fille (absence de toilettes, etc.…) surtout à partir de la période de puberté.

Enfin, on note d’autres barrières liées aux conditions socio-économiques des ménages n’étant pas en mesure d’honorer les coûts d’éducation (frais d’inscription, fournitures, transport, restauration et habillement). Ces coûts sont encore plus importants pour la fille (serviettes hygiéniques et autres effets de toilette) et peuvent entraver la fréquentation des filles et celles résidant en milieu rural sont encore plus affectées. Aussi, pour les familles à faibles revenus, les dépenses scolaires correspondent à un véritable sacrifice.

L’implication des familles et des organisations communautaires est le chemin le plus sûr pour contrer les barrières et réaliser une école inclusive des filles. D’autres recommandations pourraient être déclinées    dans le sens d’un investissement plus important dans la santé de la reproduction des filles permettrait d’éviter les nombreux décrochages scolaires liés aux grossesses précoces. L’amélioration des contenus et méthodes d’enseignement en faveur du genre est à renforcer au bénéfice des enseignants.  Il faudrait également investir davantage dans l’amélioration des équipements et un environnement de qualité pour le bien-être et la sécurité des filles à l’école (toilettes fonctionnelles séparées filles/garçons, eau, électricité, murs de clôture, tables-bancs en quantité suffisante pour éviter la promiscuité, une meilleure prise en compte des périodes de menstrues…).

 

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